Une mesure régressive
Profitant de la courte session parlementaire, le gouvernement caquiste a déposé un projet de loi afin de réaliser une de ses promesses phares : uniformiser les taux de la taxe scolaire, qui varient d’une région à l’autre, en adoptant le taux le plus bas. Le nouveau gouvernement aurait d’emblée manqué de cohérence s’il avait renié cet engagement après que François Legault eut répété ad nauseam en campagne électorale qu’il fallait «remettre de l’argent dans les poches des Québécois ». On peut toutefois mettre en doute le moyen choisi, surtout qu’il prive les commissions scolaires, c’est-à-dire les écoles, de revenus appréciables alors que la Coalition avenir Québec a promis de dépenser davantage en éducation, notamment pour ouvrir 5000 classes de maternelle 4 ans.
Le gouvernement caquiste devra donc puiser ailleurs les revenus de la taxe scolaire ainsi remis aux propriétaires, c’est-à-dire dans le fonds consolidé alimenté principalement par les impôts et la taxe de vente.
En présentant son projet de loi, le ministre des Finances, Eric Girard, nous apprenait que le coût de l’uniformisation de la taxe scolaire n’était pas de 700 millions, comme l’avait calculé la CAQ, mais bien de 900 millions. Contrairement à un parti politique, le ministère des Finances dispose d’outils raffinés pour produire ce type d’évaluation.
La baisse s’étalera sur quatre ans, ce qui en diminuera l’impact sur les finances publiques. Toutefois, rappelons que le gouvernement Couillard avait déjà réduit de quelque 600 millions les revenus tirés de la taxe scolaire en imposant une uniformisation régionale. Il n’avait guère le choix. Dans la région de Gatineau, par exemple, les propriétaires sans enfant abandonnaient la commission scolaire francophone pour s’inscrire à son pendant anglophone afin de profiter d’un taux inférieur. Cet afflux de nouveaux contribuables permettait aux commissions scolaires les moins gourmandes d’abaisser encore davantage leur taux, entraînant les écarts dans une spirale. Les cinq commissions scolaires sur l’île de Montréal n’étaient pas touchées par le phénomène, car elles appliquaient et appliquent toujours un taux unique.
Avec l’uniformisation régionale du gouvernement Couillard, un autre problème surgissait, celui des disparités de la taxe scolaire entre les régions. Ces disparités n’avaient pas de conséquences pratiques : un propriétaire n’allait pas déménager parce qu’il payait quelques centaines de dollars de plus qu’un autre dans la région voisine. Mais elles soulevaient un enjeu d’équité fiscale que la CAQ n’a pas manqué d’exploiter à fond et avec un succès certain.
Il n’en demeure pas moins qu’en raison de ces deux baisses, le gouvernement caquiste devra absorber un manque à gagner de 1,4 milliard, ce qui représente 11 % des sources de financement des commissions scolaires et plus de 60 % de leurs revenus en provenance de la taxe scolaire. Elles perdent ainsi une bonne partie de leurs revenus autonomes.
L’autre question qui se pose, c’est : « À qui profite cet allègement du fardeau fiscal ? » En théorie, les locataires pourront bénéficier de la diminution de la taxe scolaire parce qu’elle viendra réduire l’augmentation annuelle qu’ils subiraient autrement, toute variation de la taxe scolaire faisant partie intégrante du calcul utilisé par la Régie du logement pour la fixation des loyers. En théorie seulement : il serait naïf de croire que bon nombre de propriétaires n’empocheront pas la différence et il y a tout lieu de croire que la Régie du logement ne sera pas submergée par une vague de contestations de la part des locataires lésés.
Quand bien même les locataires recevraient leur dû d’une manière ou d’une autre, la valeur foncière de leur logement est généralement inférieure à celle d’une maison unifamiliale, et ainsi va pour la baisse qui pourrait leur revenir. Les propriétaires sont donc favorisés, mais surtout les mieux nantis, dont les résidences commandent une valeur foncière élevée. Il faut aussi souligner que la baisse s’applique également aux propriétés commerciales et industrielles : les entreprises, elles aussi, en profitent.
À première vue, cette baisse de taxe scolaire est régressive, en ce sens que le montant de l’allègement pour un contribuable est directement relié à la valeur de son patrimoine immobilier.
En vue des consultations publiques sur son projet de loi, Eric Girard devra préciser en quoi cette baisse ne tombe pas surtout dans la poche des plus fortunés. Dans son empressement, le ministre des Finances n’a pu fournir de réponses probantes. Il doit maintenant demander à ses mandarins de procéder à une analyse approfondie de cette largesse afin de déterminer quel effet elle aura sur la fiscalité.