Le Devoir

Le cri du coeur des Madelinots

Craignant pour la survie de sa communauté, le maire des Îles-dela-Madeleine demande une stratégie nationale contre l’érosion côtière

- ALEXANDRE SHIELDS

Le maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, craint pour la survie à long terme de sa communauté, mais aussi d’autres régions du Québec frappées de plein fouet par l’érosion côtière. Il presse donc le gouverneme­nt Legault d’augmenter significat­ivement les moyens mis en oeuvre pour se préparer à une aggravatio­n de ce phénomène imputable aux impacts des changement­s climatique­s.

« Je lance un cri du coeur. Il faut protéger nos territoire­s et nos infrastruc­tures pour les génération­s qui vont suivre. Et pour le moment, on ne comprend pas suffisamme­nt l’urgence d’agir. Nous attendons que les événements extrêmes surviennen­t pour agir. Mais il faut intervenir maintenant dans l’ensemble du Québec maritime, parce que, plus tard, il sera trop tard», insiste-t-il, en entrevue au Devoir.

« Nous n’évacuerons pas les Îles demain matin, mais il y a des changement­s qui s’opèrent d’année en année. Et ça va continuer de s’aggraver. Sera-t-il encore possible de vivre ou de venir en vacances aux Îles-de-la-Madeleine dans 50 ans ? », se demande l’élu madelinot.

M. Lapierre a également fait parvenir au Devoir une lettre dans laquelle il cite en exemple la tempête qui a frappé l’archipel situé en plein coeur du golfe du Saint-Laurent, le 29 novembre dernier. « En une seule nuit, des portions entières de dunes, de haltes routières et d’infrastruc­tures de toutes sortes ont disparu à la mer. Durant cette nuit, le recul du trait de côte prévu dans les différents modèles prévisionn­els disponible­s à ce jour a été celui équivalant à plusieurs tempêtes successive­s, étalées sur plusieurs années », écrit-il.

Érosion accélérée

En fait, l’érosion, aux Îles, est un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur. « Entre 2004 et 2016, nous avons enregistré un taux moyen de recul de 50 cm par an. Entre 2016 et 2017, nous avons enregistré un taux moyen de 60 cm », rappelle-t-il.

Si la tendance se maintient, prévient M. Lapierre, « ce sont des millions de

dollars en infrastruc­tures qui seront ainsi perdus » au cours des prochaines années. La route provincial­e 199, la seule artère à relier l’ensemble de l’archipel, « est directemen­t menacée ». L’existence à long terme d’autres secteurs habités et touristiqu­es cruciaux des Îles-de-la-Madeleine est aujourd’hui en sursis.

Ce portrait inquiétant est d’ailleurs corroboré par les analyses menées par le consortium de recherche scientifiq­ue Ouranos. « Leur situation est assez problémati­que. C’est une des régions de l’est du Québec qui affiche les taux d’érosion les plus élevés, notamment en raison de la compositio­n de ses côtes », explique Laurent DaSilva, économiste principal chez Ouranos.

Selon une étude sur les zones côtières pilotée par le consortium, au moins 260 bâtiments seraient directemen­t menacés par l’érosion d’ici 2065, mais aussi des tronçons de route qui permettent de relier différents secteurs des Îles. Les chercheurs ont aussi chiffré à plusieurs dizaines de millions de dollars les dommages, notamment économique­s, que devraient subir trois secteurs importants de l’archipel.

M. DaSilva précise toutefois qu’il s’agit d’une évaluation prudente, « puisque les impacts des changement­s climatique­s pourraient être plus importants que prévu au cours des prochaines décennies. Tout dépendra de la hausse du niveau de la mer, de l’ampleur de la disparitio­n du couvert de glace et de la force des tempêtes ».

Facture élevée

Si les Îles-de-la-Madeleine illustrent bien l’ampleur du problème de l’érosion côtière, le phénomène est de plus en plus sérieux dans d’autres régions du Québec: Côte-Nord, Gaspésie et Bas-Saint-Laurent. « C’est l’enjeu pour lequel on constate déjà les impacts les plus concrets des changement­s climatique­s. Ça se passe maintenant », souligne le directeur général d’Ouranos, Alain Bourque.

Une analyse provincial­e menée par l’organisme de recherche prévient en outre qu’au cours des prochaines décennies, plus de 5500 bâtiments seront directemen­t menacés par l’érosion, mais aussi au moins 300 kilomètres de routes, dont des tronçons des routes 132 et 138, artères vitales pour les régions qu’elles traversent.

Uniquement pour ces éléments, Ouranos a évalué la facture à 1,5 milliard de dollars. Mais cela ne tient pas compte d’éventuels dommages causés par des inondation­s et des impacts sur l’activité économique, notamment le tourisme, précise Laurent DaSilva. « C’est une évaluation qui est donc très conservatr­ice. »

Stratégie nationale

Pour le maire des Îles-de-la-Madeleine, il est donc plus que jamais nécessaire de « mettre en place un groupe de travail permanent, doté de ressources techniques et financière­s, afin d’accompagne­r nos municipali­tés aux prises avec ces imposants défis ». Il estime que les 45 millions consacrés actuelleme­nt à la lutte contre l’érosion côtière au Québec sont nettement insuffisan­ts. Cette enveloppe serait même insuffisan­te si elle était uniquement destinée aux Îles.

Le directeur général d’Ouranos abonde dans ce sens. « Même s’il y a encore des analyses scientifiq­ues à faire, nous avons suffisamme­nt de données pour que le Québec puisse élaborer dès maintenant une stratégie de gestion des zones côtières dans un contexte de changement­s climatique­s. Présenteme­nt, on continue de gérer le problème en mode “crise”. Mais il faut dépasser cette approche, il faut penser à tout cela à l’échelle provincial­e, pour éviter que le problème nous coûte quelques milliards de dollars d’ici 30 ans. »

À Québec, on assure prendre le problème très au sérieux. « L’adaptation aux changement­s climatique­s est une facette qui est souvent oubliée dans le débat actuel, mais qui revêt une importance capitale. Notre gouverneme­nt va s’assurer que des mesures d’adaptation soient mises en place afin que les régions côtières et plus éloignées puissent convenable­ment faire face aux changement­s climatique­s. Il en va de la sécurité de nos citoyens», explique Louis-Julien Dufresne, attaché de presse du ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette.

M. Dufresne ajoute que des fonds sont déjà réservés à différente­s initiative­s, dont le projet de recherche universita­ire «Résilience côtière», qui « vise le développem­ent d’outils et de solutions d’adaptation aux risques côtiers par un accompagne­ment auprès des municipali­tés ».

Un comité sur l’érosion a aussi été mis sur pied par le Bureau régional de coordinati­on gouverneme­ntale des Îles-de-la-Madeleine, en collaborat­ion avec des ministères et organismes. « Une première rencontre de ce comité est prévue pour la fin février », précise le bureau du ministre Charette.

Même s’il y a encore des analyses scientifiq­ues à faire, nous avons suffisamme­nt de données pour que le Québec puisse élaborer dès maintenant une stratégie de gestion des zones côtières dans un contexte de changement­s » climatique­s ALAIN BOURQUE

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ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Le secteur historique et touristiqu­e de La Grave, aux Îles-de-la-Madeleine, est particuliè­rement vulnérable aux impacts de l'érosion côtière, selon le maire Jonathan Lapierre.

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