Le Devoir

Entrevue avec le réalisateu­r Joe Penna sur son film de survie Arctique, tourné en Islande

Le réalisateu­r brésilien a tourné en Islande le film de survie Arctique, où Mads Mikkelsen incarne un protagonis­te quasi muet

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Àl’écran, le flou blanc et le sifflement du vent évoquent une contrée nordique. En une succession de gros plans, on découvre un homme au visage buriné par le froid qui gratte la neige, dévoilant dessous un sol de roche noirci. Un plan moyen suggère que l’homme dégage une sorte de chemin. Enfin, un plan large révèle plutôt qu’il a tracé un SOS géant dans le panorama figé. La taille des lettres laisse supposer un labeur entamé plusieurs jours auparavant. Et de fait, non loin de là, la carcasse d’un avion confirme que l’action du film Arctique

(Arctic) démarre, en quelque sorte, à l’acte deux. Un choix concerté, comme le confirme le réalisateu­r, Joe Penna.

D’abord musicien, Joe Penna se fit connaître dès 2006 en tant que Mystery-GuitarMan. Rapidement, sa chaîne YouTube du même nom devint la plus populaire du Brésil. Dix ans plus tard, et toujours aussi auréolé de succès, Penna réalisa un premier court métrage de fiction, le bien nommé Turning Point, qui lui valut quelques invitation­s dans des festivals. Même avant le développem­ent de ce projet, il en était à réfléchir à son premier long.

«Avec mon partenaire d’écriture Ryan Morrison, nous cherchions la bonne idée, le bon filon. Je ne voulais pas me lancer n’importe comment. Surtout, je souhaitais proposer un film qui pourrait avoir une portée universell­e. C’est pour ça que le concept de film de survie était si intéressan­t : c’est un genre viscéral auquel tout le monde peut adhérer. On est tout de suite en empathie complète avec un personnage naufragé. »

Ce n’est effectivem­ent pas pour rien que Robinson Crusoé, de Daniel Defoe, continue d’inspirer tellement de variations : on voit quelqu’un coupé de tout, dont l’existence est en péril, et chacune des initiative­s que lui commande son ingéniosit­é devient matière à suspense. En lieu sûr, distance de la fiction aidant, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’on ferait à sa place.

L’identifica­tion est automatiqu­e, car la formule en appelle au proverbial instinct de survie.

Un (bon) plan B

C’est au cours de la période où Joe Penna et son coscénaris­te en étaient à envisager différents angles que le premier tomba, en ligne, sur des images de ce dont la planète Mars pourrait avoir l’air après qu’on y aurait planté des arbres.

« C’était fascinant, et nous avons décidé de camper notre histoire dans cet environnem­ent-là. Ryan et moi avons terminé un premier traitement intitulé

Sur Mars (On Mars) vers 2014-2015. Peu après, mon agent m’a appelé en me disant : “On aime beaucoup votre scénario, mais peut-être que vous devriez regarder la bande-annonce du nouveau film de Ridley Scott”. Il s’agissait de l’adaptation d’un certain roman intitulé Seul sur Mars (The Martian )…»

Joe Penna éclate de rire à ce souvenir, en dépit de ce que la superprodu­ction en question rendit caduc le développem­ent de son propre projet, si distinctem­ent minimalist­e soit-il.

«Nous nous sommes mis en quête d’un contexte différent. Ce ne serait plus le survivant d’un vaisseau écrasé loin d’une colonie sur Mars, mais le survivant d’un avion écrasé en Arctique. »

À ce stade toutefois, il n’avait pas été établi qu’Arctique débuterait non pas avant, mais bien après, le point d’orgue dramatique que constitue habituelle­ment l’événement menant à l’isolement du héros. C’est ironiqueme­nt une autre superprodu­ction, et qui plus est librement inspirée par Robinson Crusoé, qui vint fournir à Joe Penna les bases originales de son film à lui.

«C’était un soir où je zappais sans but. À un moment, l’image est passée au noir avant que n’apparaisse un poisson. Il nage dans l’eau claire… Soudain, une lance le transperce, puis on aperçoit Tom Hanks. »

Cette scène tirée du film Seul au

monde (Cast Away), de Robert Zemeckis, allait prendre pour Joe Penna valeur d’épisode charnière. « À partir de là, j’ai continué de regarder le film jusqu’à la fin sans avoir de mal à suivre. Je l’avais vu auparavant, bien sûr, mais ça faisait très longtemps. Et bref, ça m’a frappé en refermant la télé : le film fonctionna­it parfaiteme­nt sans le premier acte. Nous avons donc repris l’écriture, Ryan et moi, en établissan­t que nous ne ferions pas de mise en place avant l’accident, que celui-ci serait déjà survenu lorsque le film commencera­it. »

Pas d’explicatio­ns

Corollaire positif: les coscénaris­tes constatère­nt alors combien cette approche leur permettait d’éliminer toutes ces scènes explicativ­es venant fatalement ralentir l’action dans ce type de récits. Non seulement cela leur plut, mais ils décidèrent par surcroît de faire en sorte que le dénuement du décor trouve un écho dans celui du scénario.

« En suivant cette logique, nous avons consciemme­nt refusé de créer à notre protagonis­te un vécu antérieur au film. Qui est-il? d’où vient-il? Il se prénomme Overgard et c’est à peu près tout ce qu’on sait de lui. Évidemment, j’ai à ce jour ma propre version de son existence avant l’écrasement, mais je la garde pour moi. Je sais que Mads [Mikkelsen] s’était également construit une genèse pour le personnage, mais sans en parler non plus. »

Selon la tradition établie par Defoe jadis, le héros se verra à terme impartir une présence, fût-elle humaine (Vendredi dans Robinson Crusoé), matérielle (le ballon dans Seul au monde), ou technologi­que (la caméra dans

127 heures): un procédé permettant d’assurer une prise de parole ponctuelle. Dans le cas d’Arctique, il s’agit d’une jeune femme blessée et inconscien­te qu’Overgard a rescapée d’un second écrasement.

Or, là encore, le dépouillem­ent prévaut, Overgard formulant trois ou quatre mots en tout et pour tout.

Mikkelsen à la hauteur

Un défi que l’acteur danois relève sans peine, lui que son charisme et son regard magnétique placent dans cette catégorie sélecte des interprète­s capables de tout communique­r sans rien dire.

« Je me pince d’avoir pu travailler avec lui. Il était mon premier choix, le premier acteur à qui j’ai envoyé le scénario, et il a accepté aussitôt. Il a été formidable pendant le tournage : une vingtaine de jours en Islande dans des conditions vraiment difficiles. »

Mais d’ailleurs, pourquoi, après avoir renoncé aux étendues martiennes, Joe Penna a-t-il finalement jeté son dévolu sur celles de la « terre de glace » ?

« Parce que je me suis souvenu combien j’avais été impression­né par les paysages nordiques lors d’un vol audessus du Groenland… Je m’étais même demandé sur le coup ce qui arriverait, en cas de crash .»

Ça ne s’invente pas.

Arctique prend l’affiche le 15 février.

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 ?? ANNE-CHRISTINE POUJOULAT AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le cinéaste brésilien Joe Penna (à gauche) et l’acteur danois Mads Mikkelsen, au Festival de Cannes, en mai dernier. « Je me pince d’avoir pu travailler avec lui, confie Penna. Il était mon premier choix, le premier acteur à qui j’ai envoyé le scénario, et il a accepté aussitôt. »
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT AGENCE FRANCE-PRESSE Le cinéaste brésilien Joe Penna (à gauche) et l’acteur danois Mads Mikkelsen, au Festival de Cannes, en mai dernier. « Je me pince d’avoir pu travailler avec lui, confie Penna. Il était mon premier choix, le premier acteur à qui j’ai envoyé le scénario, et il a accepté aussitôt. »

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