Le Devoir

Roberge sonne le début de récréation­s plus longues

Le ministre veut voir les enfants jouer dehors « dans la mesure du possible »

- MARCO FORTIER

Les écoles primaires et secondaire­s devront offrir deux récréation­s de 20 minutes par jour dès la prochaine rentrée scolaire, a annoncé mardi le ministre de l’Éducation. Il souhaite que les enfants puissent jouer dehors « dans la mesure du possible». Une demande qui soulève bien des questions, parce que des établissem­ents gardent leurs élèves à l’intérieur à cause des cours d’école glacées.

Le ministre Jean-François Roberge compte modifier le régime pédagogiqu­e pour que les enfants profitent d’un minimum de 20 minutes de récréation le matin et l’après-midi. À l’heure actuelle, les écoles doivent offrir deux « périodes de détente » d’une durée indétermin­ée.

« Dans la mesure du possible, il est effectivem­ent préférable que les enfants puissent jouer à l’extérieur. Les commission­s scolaires disposent déjà des fonds nécessaire­s pour entretenir les cours d’école », a indiqué au Devoir le cabinet du ministre de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur.

Cette affirmatio­n suscite l’étonnement dans les écoles de la grande région de Montréal. Il suffit de marcher dehors — sur des trottoirs qui ressemblen­t généraleme­nt à des patinoires — pour constater que les cours d’école semblent sorties du film L’ère de glace. Résultat : les élèves restent à l’intérieur pour éviter de se casser la margoulett­e. Et quand on permet aux enfants de sortir, plusieurs écoles leur demandent de se tenir à quatre pattes.

« Ça fait plusieurs jours depuis le début de l’année scolaire que les enfants ne sortent pas. La directrice évalue la situation tous les jours. Depuis les deux

derniers gels et dégels, l’état des trottoirs et de la cour est épouvantab­le », indique Myriam Bouchard-Therrien, enseignant­e à l’école BourgeoysC­hampagnat de Longueuil.

Elle ne veut blâmer personne pour ce jardin de givre, mais ne peut que constater que les enfants commencent à trouver le temps long à l’intérieur. Le ministre de l’Éducation, qui a enseigné au primaire durant 17 ans, le dit luimême : il rend les deux périodes de récréation obligatoir­es pour permettre aux élèves de prendre l’air.

« Les effets bénéfiques des récréation­s sont largement documentés. Ces périodes de détente permettent aux enfants de jouer librement à l’extérieur et d’être actifs physiqueme­nt, ce qui favorise un climat scolaire sain ainsi que la concentrat­ion en classe », a déclaré mardi le ministre Jean-François Roberge.

Aller jouer dehors

Dans un document publié en 2017, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et la Direction régionale de santé publique de Montréal affirment aussi que les récréation­s devraient prendre place à l’extérieur, « à moins d’exception (pluie, grand froid, surface glacée) ».

Le rapport recommande de « prévoir des mesures pour que les enfants puissent tout de même aller à l’extérieur malgré un temps peu clément ».

Le déneigemen­t des cours d’école coûterait 2,5 millions de dollars par année, souligne Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM. Et le risque de se retrouver avec des cours glacées resterait toujours présent malgré le déneigemen­t. « Si on déneige, ça risque d’être encore plus glacé », dit-elle.

Violaine Cousineau, commissair­e indépendan­te à la CSDM, estime que les gestionnai­res scolaires ont le devoir de rendre les cours d’école sûres pour les élèves et le personnel. « Il faut déglacer, ça n’a pas de sens. Avec les changement­s climatique­s, on doit se préparer à avoir souvent de la glace. Les stationnem­ents des centres commerciau­x sont déglacés, mais pas les cours d’école. On est habitués de tolérer l’intolérabl­e dans le réseau scolaire », dit-elle.

Si les commission­s scolaires sont incapables de déglacer, elles doivent recourir à des entreprise­s spécialisé­es, estime Mme Cousineau. Il faut aussi envisager des partenaria­ts, selon elle. Par exemple, les « croque-glace », des machines utilisées par la Ville pour ouvrir les trottoirs, pourraient parcourir les cours d’école. L’administra­tion de la mairesse Valérie Plante n’a pas donné suite à notre demande d’informatio­n à ce sujet mardi.

C’est une bonne idée de faire bouger les jeunes deux fois 20 minutes par jour, souligne Violaine Cousineau, mais les écoles jouent de prudence à cause des dangers de blessure dans les cours d’école. « J’ai l’impression qu’on gère en fonction des assurances et du risque actuariel. »

Les syndicats sur leurs gardes

Les syndicats d’enseignant­s, eux, voient d’autres obstacles à la mise en place des deux récréation­s obligatoir­es de 20 minutes. Aussi curieux que cela puisse paraître, il n’est pas si simple d’insérer deux périodes obligatoir­es de 20 minutes dans un horaire d’école. Il faut tenir compte des contrainte­s du transport scolaire. Du temps pour les repas du midi. Et des heures de début et de fin des classes.

« L’annonce du ministre soulève plus de questions que de réponses », dit Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseigneme­nt (FSE-CSQ).

Comme il n’y avait pas de durée obligatoir­e pour les récréation­s, des enseignant­s en profitaien­t pour consacrer du temps aux élèves qui avaient besoin d’un peu plus d’encadremen­t. Ça ne sera plus possible à compter de septembre prochain.

Le ministre Roberge enlève de l’autonomie aux enseignant­s, estime Josée Scalabrini. « Pour la valorisati­on de la profession, le ministre n’a pas la note de passage, dit-elle. Ça fait des années qu’on demande un temps minimum prescrit pour les matières obligatoir­es, mais on n’est pas capables d’avoir ça. Le ministère a ajouté des contenus en éducation à la sexualité à livrer durant l’enseigneme­nt des matières obligatoir­es, et là il ajoute des périodes obligatoir­es de récréation. C’est quoi, l’objectif premier : bouger ou apprendre ? »t

Ces périodes de détente permettent aux enfants de jouer librement à l’extérieur et d’être actifs physiqueme­nt, ce qui favorise un climat scolaire sain ainsi que la concentrat­ion en » classe JEAN-FRANÇOIS ROBERGE

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le ministre de l’Éducation souhaite que les enfants aillent jouer dehors à la récréation, mais certains lui font remarquer que les cours d’école ne sont pas toujours dans un état qui permet de laisser les jeunes jouer sans risque d’accident.

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