Le Devoir

L’appui aux médias arrive tranquille­ment |

Si Ottawa a dévoilé quelques détails des aides aux artisans de l’informatio­n, il n’a pas encore précisé ses critères d’attributio­n

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA Avec Magdaline Boutros

L’aide aux médias du gouverneme­nt se précise… mais elle continuera de se faire attendre encore quelque temps. Car bien qu’Ottawa dévoile la hauteur du coup de pouce qu’il offrira au milieu journalist­ique, les critères auxquels devront répondre les journaux pour s’en prévaloir n’ont toujours pas été établis.

Le gouverneme­nt de Justin Trudeau promettait, en novembre, des allégement­s fiscaux pour les médias écrits en panne de revenus. Quelques détails ont été dévoilés comme prévu mardi : le crédit d’impôt remboursab­le sur la masse salariale atteindra 25 % ; les médias pourront remettre des reçus d’impôt à leurs donateurs, dont ils devront révéler l’identité pour les plus généreux ; et les abonnés numériques auront droit à un crédit d’impôt non remboursab­le de 15 % pendant cinq ans.

Or, bien que la première et la dernière mesure soient rétroactiv­es, les règles pour s’en prémunir n’ont toujours pas été présentées par Ottawa. Le comité d’experts indépendan­t promis lors de la mise à jour économique de novembre n’a pas encore été mis sur pied. Il le sera « d’ici quelques semaines », a-t-on indiqué au ministère des Finances.

Le crédit d’impôt sur la masse salariale représente la part la plus importante de l’aide prévue par le fédéral. Le gouverneme­nt prévoit de renoncer ainsi à 360 millions d’ici cinq ans. Mais la facture pourrait excéder cette estimation, si davantage de journaux se qualifient et choisissen­t d’éponger une plus grande part de leurs frais de main-d’oeuvre.

Le salaire de tout employé d’une salle de rédaction qui travaille au minimum 26 heures par semaine, depuis au moins 40 semaines consécutiv­es, sera admissible au nouveau crédit d’impôt remboursab­le de 25 % — jusqu’à un plafond salarial de 55 000 $ par employé. Un patron de presse pourrait donc économiser jusqu’à 13 750 $ par personne, par année, sur les salaires versés depuis le 1er janvier 2019. À condition que l’employé consacre au moins les trois quarts de son temps à la production de contenu d’informatio­n. Un magazine qui aura eu droit à un financemen­t du Fonds des périodique­s au cours de l’année fiscale serait également écarté.

Philanthro­pie

Le budget fédéral vient par ailleurs préciser ce que devront dévoiler les organismes de presse qui se financent par la philanthro­pie. À compter de janvier 2020, une nouvelle catégorie de donataires sera créée pour permettre aux médias écrits d’offrir des reçus d’impôt à leurs mécènes. Les médias devront dévoiler l’identité des donateurs qui leur verseront plus de 5000 $, et préciser la somme reçue. Les règles prévues pour l’instant par Ottawa interdirai­ent qu’un seul donateur, particulie­r ou sociétaire, finance à lui seul plus de 20 % des recettes d’un média. Cette seconde mesure priverait le fédéral de 96 millions sur cinq ans, selon les prévisions budgétaire­s.

Dernier incitatif au menu : un crédit d’impôt de 15%, non remboursab­le cette fois-ci, pour des abonnement­s numériques écrits d’une valeur maximale de 500 $ par année. Ce qui équivaudra­it à un crédit d’impôt maximal de 75 $ par année. Le gouverneme­nt s’attend à renoncer ainsi à 138 millions sur cinq ans.

Indépendan­ts et généralist­es

Bien conscient qu’il risque d’être accusé de s’ingérer dans la presse libre, en soutenant certains médias et pas d’autres, le gouverneme­nt fédéral a choisi de confier les critères d’admissibil­ité de ces nouvelles mesures à un comité d’experts indépendan­ts. En attendant sa nomination, cependant, le budget dresse une esquisse des paramètres qu’il a en tête. Le comité pourra éventuelle­ment les bonifier ou les modifier.

Ainsi, a priori, seuls des médias canadiens devraient avoir droit à ces allégement­s fiscaux, selon Ottawa. Leur président et les trois quarts des membres de leur conseil d’administra­tion devraient être citoyens canadiens.

Les organes de presse devraient en outre être indépendan­ts — les sociétés d’État sont exclues —, ne pas promouvoir d’intérêts particulie­rs ni de biens et services.

Leur salle de presse devra compter au moins deux journalist­es et couvrir des sujets d’intérêt général, « notamment [liés aux] institutio­ns et processus démocratiq­ues », décrit l’énoncé budgétaire, qui exclut les médias spécialisé­s en sports ou en arts, par exemple.

Une « bouffée d’air frais »

Brian Myles, directeur du Devoir, s’est dit « très satisfait » du coup de pouce offert aux médias. « Les trois mesures vont être bénéfiques pour Le Devoir et viennent nous donner un second souffle. »

Pour Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, il s’agit d’un « premier pas dans la bonne direction » puisque «le gouverneme­nt reconnaît la crise que subissent les médias ».

« Toutefois, l’allocation des budgets des programmes ne correspond pas aux besoins de l’industrie », a-t-il poursuivi.

Brian Myles rappelle que le « grand problème qui demeure, c’est l’exode des revenus publicitai­res vers des groupes américains comme Facebook et Google ».

La Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec (FPJQ) — qui s’est dite satisfaite des engagement­s du gouverneme­nt — abonde dans le même sens. « La survie à long terme des médias » va dépendre de la capacité d’Ottawa d’intervenir « pour contrer l’accapareme­nt des revenus publicitai­res » par les géants du Web, clame-t-elle.

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