Le Devoir

Téo, Uber et les autres

Les chauffeurs de taxi sont en colère contre le ministre François Bonnardel, qu’ils accusent de les acculer à la faillite avec son projet de loi visant à moderniser l’industrie

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Trahison, journée noire, assassinat… Les représenta­nts de l’industrie du taxi ne manquaient pas de qualificat­ifs mercredi pour réagir au volumineux projet de loi du ministre des Transports, François Bonnardel, qui abolit leurs coûteux permis.

Cette nouvelle loi proposée, dont les 275 articles tiennent sur 73 pages, introduit un allégement réglementa­ire important pour encadrer les services de transport comme Uber, mais laisse au passage les chauffeurs de taxi à la merci de la main invisible du marché.

« On a vu un ministre nous dire “là, c’est fini, c’est la destructio­n massive de votre industrie”, a dénoncé le porteparol­e du porte-parole du Regroupeme­nt des intermédia­ires de taxi de Québec, Abdallah Homsy. On veut dé- truire cette industrie-là, on veut créer une anarchie, mais en modèle 2.0. »

Les chauffeurs se disaient ouverts à une modernisat­ion de leur industrie, mais ils accusent aujourd’hui le ministre Bonnardel d’avoir adopté le langage d’Uber, tout comme Québec solidaire, qui accuse le gouverneme­nt Legault de dérouler « le tapis rouge pour la multinatio­nale frauduleus­e ». Les libéraux estiment que le projet de loi «vient signer l’arrêt de mort » des propriétai­res de taxi.

Uber a, pour sa part, salué le projet de loi, qui permet de « pérenniser les services de covoiturag­e urbain à travers la province ». « Nous demeurons déterminés à continuer à collaborer avec le ministère des Transports afin d’améliorer les [solutions] de mobilité durable qui permettent de diminuer l’utilisatio­n de l’auto solo», a indiqué son porte-parole québécois, Jean-Christophe de le Rue, par courriel.

« L’époque de la gestion par projet-pilote à courte vue est terminée », a affirmé le ministre, critiquant au passage le gouverneme­nt libéral précédent.

La nouvelle réglementa­tion, selon lui, sera « plus souple, plus équitable et applicable à tous ».

Le projet de loi 17 est censé mettre fin « au régime à deux vitesses » qui s’était créé dans l’industrie du taxi avec l’arrivée de joueurs comme Uber, mais dans les faits, il maintient toujours deux catégories de transport par automobile.

Il y aura les courses à prix variable demandées au moyen d’une applicatio­n mobile et celles à prix fixe sollicitée­s par téléphone ou en hélant une voiture.

Seuls les taxis, auxquels le projet de loi réserve une dénominati­on reconnue, seront autorisés à prendre des clients par téléphone ou dans la rue au tarif convenu par la Commission des transports du Québec. Le prix de départ est actuelleme­nt de 3,50 $, auquel s’ajoute 1,75 $ par kilomètre parcouru.

« Vous savez, on met fin au monopole d’Uber en matière de tarificati­on dynamique», a affirmé M. Bonnardel en ajoutant que Téo Taxi aurait aimé pouvoir en profiter.

Le prix d’une course offert sur les applicatio­ns mobiles pourra donc être modulé en fonction de l’achalandag­e. Plus il y aura de demande, plus elle sera coûteuse. Le client aura le choix d’accepter ce tarif ou non avant de demander une voiture.

«Je suis persuadé que si on avait donné les outils à Téo Taxi aujourd’hui comme je le fais, Téo Taxi serait encore au monde », a répondu le ministre à la question d’une journalist­e.

L’entreprise mise sur pied par Alexandre Taillefer a mis fin à ses activités en février, ce qui a occasionné la perte d’emploi de ses 450 chauffeurs. Le président de Québecor, Pierre Karl Péladeau, s’est toutefois montré désireux d’en faire l’acquisitio­n. Le Devoir a tenté d’obtenir les commentair­es des deux hommes d’affaires, sans succès.

Les chauffeurs n’auront plus à se procurer un permis de conduire de classe 4c

Qui va payer demain la banque ? Est-ce que c’est M. Bonnardel ? Non, il va être dans sa limousine noire en direction de Granby pendant que moi je suis en train de me battre pour voir comment je » vais payer ça.

ABDALLAH HOMSY

Dans tout le Québec

Les voitures ne seront plus circonscri­tes à un territoire précis. Les chauffeurs pourront donc prendre des clients partout au Québec, peu importe leur ville d’origine.

« Combien de fois j’ai trouvé ridicule, quand je me faisais transporte­r d’ici à l’aéroport de Québec, que le chauffeur de taxi ne puisse pas revenir avec quelqu’un, a déploré M. Bonnardel lors de son point de presse à l’Assemblée nationale. Il repartait vide. »

L’abolition des territoire­s d’agglomérat­ion favorisera­it, selon lui, la mobilité durable et réduirait « l’auto solo ».

Les chauffeurs n’auront plus à se procurer un permis de conduire de classe 4c spécifique­ment pour les taxis. Un permis automobile de classe 5 et 12 mois d’expérience de conduite seront suffisants. Ils devront toujours fournir la preuve qu’ils n’ont pas d’antécédent­s judiciaire­s et devront suivre une courte formation qui durerait sept heures.

Les formations offertes présenteme­nt pour les régions de Québec et de Montréal sont de 110 heures et de 150 heures respective­ment, mais la majeure partie concerne la toponymie, qui est devenue superflue avec l’utilisatio­n des GPS.

Ces changement­s entreraien­t en vigueur en juin 2020, soit après l’adoption par le gouverneme­nt du règlement qui accompagne­ra la loi, après son adoption.

Compensati­on suffisante ?

Une redevance de 0,20 $ par trajet sera ajoutée durant trois ans pour aider l’industrie du taxi traditionn­el à se doter des applicatio­ns mobiles dont elle aura besoin pour s’adapter à ce nouveau régime. Les fonctionna­ires du ministère des Transports estiment que le montant total qui sera redistribu­é par l’entremise d’un programme s’élèvera à 10 millions annuelleme­nt.

Le gouverneme­nt ne rachètera pas les permis de taxi comme le réclame Québec solidaire. Il a toutefois annoncé mardi une compensati­on de 250 millions à leurs propriétai­res, qui s’ajoute aux 250 millions versés par le gouverneme­nt Couillard en 2018.

Malgré cet argent, Abdallah Homsy ne voit rien d’autre que la faillite pour lui et ses collègues. Il se demande comment il arrivera à payer les 120 000 $ qu’il doit toujours pour son permis.

« Qui va payer demain la banque ? at-il demandé en conférence de presse. Est-ce que c’est M. Bonnardel ? Non, il va être dans sa limousine noire en direction de Granby pendant que moi je suis en train de me battre pour voir comment je vais payer ça. »

François Bonnardel a fait valoir que la compensati­on offerte « respecte la capacité de payer des Québécois » et que le nouveau régime remettra « de l’argent dans les poches des chauffeurs de taxi », qui économiser­ont sur leurs coûts administra­tifs.

Le projet de loi a été bien accueilli par la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain, qui estime qu’il favorisera « une saine concurrenc­e dans l’industrie du taxi ».

Les libéraux estiment que le gouverneme­nt devrait profiter des surplus budgétaire­s pour offrir une meilleure compensati­on aux propriétai­res de permis.

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