Le Devoir

La laïcité contre le crucifix ?

Si François Legault engage le débat sur la place de l’objet religieux à l’Assemblée nationale, c’est qu’il veut s’en servir pour faire accepter son projet de loi sur la laïcité

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC JEANNE CORRIVEAU

Montréal vient de donner l’exemple en annonçant le retrait du crucifix de la salle du conseil municipal

Le premier ministre François Legault accepte de débattre du retrait du crucifix du Salon bleu. La question fera l’objet de «discussion­s», tout d’abord entre les députés caquistes, a-t-il annoncé mercredi, rompant avec la position traditionn­elle de la Coalition avenir Québec.

Cette décision est prise alors que Montréal a annoncé, mercredi, qu’elle profitera des travaux à l’hôtel de ville pour retirer de façon définitive le crucifix qui orne un des murs de la salle du conseil municipal depuis des décennies.

M. Legault n’écarte pas la possibilit­é de monnayer la croix fabriquée par Romuald Dion afin d’assurer le plus large appui possible au projet de loi

sur la laïcité, qui sera déposé prochainem­ent. « Écoutez, il faut que tout le monde fasse des compromis, on va regarder les positions des différente­s personnes au caucus, puis on va vous revenir », a-t-il déclaré dans une mêlée de presse. Ceux plaidant pour le maintien du crucifix dans la salle de l’Assemblée nationale ont « de bons arguments », a indiqué le chef du gouverneme­nt. Ceux préconisan­t son déplacemen­t derrière une vitre d’exposition aussi, a-t-il ajouté.

Québec solidaire et le Parti québécois sont disposés à en débattre. Les élus libéraux en discuteron­t pour leur part entre eux.

La CAQ plaidait, jusqu’à la sortie médiatique de M. Legault, pour le maintien du crucifix, le décrivant comme un objet patrimonia­l. «Le crucifix est là. Pour nous, ça a toujours été un symbole patrimonia­l, un symbole historique, comme les autres symboles religieux qui sont au Salon bleu », a d’ailleurs répété le ministre Simon Jolin-Barrette.

Le patrimoine ne saurait justifier le maintien du crucifix dans le Salon bleu, plaide QS.

En 1936, Maurice Duplessis avait fait accrocher un crucifix au-dessus du fauteuil du président de l’Assemblée législativ­e afin d’affirmer le caractère catholique de la « Province ». Le crucifix «unioniste» a été remplacé par une oeuvre de l’artiste québécois Romuald Dion lors de la rénovation de l’hôtel du Parlement en 1982.

Symbole de l’histoire

À Montréal, l’administra­tion de Valérie Plante a fait connaître ses intentions concernant le crucifix de la salle du conseil à quelques mois du début des travaux majeurs de rénovation de l’hôtel de ville. Le même sort attend le crucifix de la salle Peter-McGill, où se tiennent chaque semaine les réunions du comité exécutif.

« On est conscients que c’est un symbole qui est très important pour l’histoire de Montréal. L’objectif n’est pas de faire du déni de notre histoire, mais plutôt de trouver une façon de mettre en valeur cet élément », a expliqué la conseillèr­e Laurence Lavigne Lalonde, responsabl­e de la démocratie et de la gouvernanc­e au sein de l’administra­tion Plante.

Elle a rappelé que le crucifix avait été installé dans la salle du conseil en 1937 à la demande de l’échevin JosephÉmil­e Dubreuil « afin que les élus se souviennen­t du serment qu’ils avaient prêté devant Dieu en entrant en poste ». Une note du Bureau du directeur des finances de la Ville datée du 24 mars 1937 indique qu’une somme de 25 $ a été consacrée à l’installati­on de ce crucifix.

Les deux crucifix, ainsi que d’autres éléments patrimonia­ux provenant des collection­s de la Ville de Montréal, seront exposés dans un espace muséal accessible au public qui sera aménagé dans l’hôtel de ville une fois que celuici aura été rénové.

On est conscients que c’est un symbole qui est très important pour l’histoire de Montréal. L’objectif n’est pas de faire du déni de notre histoire, mais plutôt de trouver une façon de mettre en valeur cet » élément.

LAURENCE LAVIGNE LALONDE

Rappelons que les travaux majeurs de mise aux normes de l’hôtel de ville s’échelonner­ont sur trois ans. À compter du mois d’avril, les occupants de l’hôtel de ville déménagero­nt dans l’édifice Lucien-Saulnier.

Tentatives répétées

Au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives ont été faites pour retirer le crucifix de la salle du conseil. Lorsque l’administra­tion de Jean Doré avait aboli la prière en 1987, il avait alors été convenu de profiter de travaux de rénovation pour retirer le crucifix. Or, le crucifix est demeuré en place. Puis, en 2002, le conseiller Marvin Rotrand a réclamé en vain un débat sur le retrait du crucifix.

Valérie Plante estime que le temps est venu de séparer l’institutio­n publique qu’est la Ville de la religion. En octobre dernier, la mairesse avait toutefois annoncé qu’elle n’interdirai­t pas le port de signes religieux dans la fonction publique. Sur ce point, elle dit ne pas avoir changé d’idée. « La décision d’aujourd’hui n’a rien à voir avec la question de la laïcité. Pour moi, il y a une nette distinctio­n avec la laïcité individuel­le », a-t-elle expliqué, tout en indiquant que la croix du mont Royal, elle, resterait en place.

La mairesse s’est bien gardée de se prononcer sur le crucifix de l’Assemblée nationale : « Je n’ai pas l’intention de dire quoi faire aux autres ordres de gouverneme­nt ou mêmes aux autres villes et arrondisse­ments. Je pense que c’est à chacun de prendre sa décision. »

L’Assemblée des évêques catholique­s du Québec a dit respecter la position des élus montréalai­s. De son côté, le conseiller Marvin Rotrand appuie la décision de l’administra­tion Plante. «Le crucifix n’est pas patrimonia­l», dit-il.

 ?? PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE ?? L’administra­tion municipale de Montréal profitera de travaux de rénovation effectués dans la salle du conseil municipal pour retirer le crucifix qui orne un de ses murs. Le premier ministre François Legault songe aujourd’hui à imiter ce geste.
PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE L’administra­tion municipale de Montréal profitera de travaux de rénovation effectués dans la salle du conseil municipal pour retirer le crucifix qui orne un de ses murs. Le premier ministre François Legault songe aujourd’hui à imiter ce geste.

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