Les nouveaux indigents
Personne ne sera ému par les lamentations du Parti libéral du Québec sur sa situation financière. On se demande encore par quel prodige Renaud Lachance n’a pas voulu conclure des audiences de la commission Charbonneau qu’il avait profité sans le moindre scrupule d’une reconnaissance presque imposée aux entreprises bénéficiaires de contrats publics. Sans avancer de chiffres, le chef intérimaire du PLQ, Pierre Arcand, a déclaré récemment que la baisse importante des revenus de son parti depuis l’élection du 1er octobre allait le forcer à revoir son organisation.
Après des années d’une opulence scandaleuse, c’est simplement justice que les libéraux soient obligés de se serrer la ceinture, diront plusieurs, et il serait difficile de leur donner tort.
Même si d’autres partis ont également fait du financement illégal, ce sont surtout les abus du PLQ qui ont entraîné l’abaissement du plafond des contributions à la caisse des partis politiques autorisées par la loi. M. Arcand était le moins bien placé pour voir un excès de vertu dans la limite annuelle de 100 $ qui a été imposée par le gouvernement de Pauline Marois.
On ne se surprendra pas que la ministre de la Justice, Sonia LeBel, ait accueilli ses doléances plutôt froidement. L’ancienne procureure en chef de la commission Charbonneau n’a sans doute pas interprété les témoignages qu’elle y a entendus de la même façon que Renaud Lachance. Qui plus est, la victoire de la Coalition avenir Québec lui assure maintenant des années de vaches grasses. Pourquoi changer ce qui fonctionne si bien, n’est-ce pas ?
Si le rapport de la commission a causé une grande déception, les audiences publiques n’en ont pas moins marqué les esprits. Cet étalage de collusion et de corruption a été gênant pour toute la société québécoise. Personne n’a oublié la première page du magazine Maclean’s, qui avait présenté le Québec comme « the most corrupt province in Canada ».
Ce souvenir est probablement trop récent et trop douloureux pour qu’il soit possible d’envisager une hausse du plafond des contributions à brève échéance. La population ne le tolérerait pas. D’ailleurs, il vaut sans doute mieux laisser la culture des partis évoluer pendant un certain temps.
Un jour ou l’autre, il faudra pourtant réexaminer la question. Le PLQ n’est pas le seul à avoir des problèmes financiers. Ceux du Parti québécois sont encore plus graves, au point de le menacer de faillite.
Dans son rapport de 2018, le Directeur général des élections s’interrogeait ouvertement sur sa capacité de fonctionner. « La poursuite des opérations du parti dépend de sa capacité de renouveler son membership, d’obtenir un plus grand nombre d’appuis lors d’élections et ainsi recevoir des allocations plus importantes du DGE », peut-on y lire. Il est évident que le départ fracassant de Catherine Fournier, qui l’a relégué au rang de troisième groupe d’opposition, et des sondages toujours plus inquiétants n’amélioreront pas les choses.
Il est vrai que la CAQ et Québec solidaire ont fait la preuve qu’un parti peut connaître du succès sans nécessairement rouler sur l’or. Depuis janvier 2015, le PQ et le PLQ ont reçu beaucoup plus d’argent qu’eux, aussi bien de l’État que de leurs contributeurs, ce qui ne les a pas empêchés d’obtenir tous deux les pires résultats de leur histoire le 1er octobre dernier.
L’indigence n’est pas souhaitable pour autant. Les partis politiques souffrent actuellement d’une mauvaise presse qu’ils ont sans aucun doute méritée, mais ils ne demeurent pas moins un élément essentiel de notre démocratie. Personne ne suggère de revenir au plafond originel, que le gouvernement de René Lévesque avait fixé à 3000 $ en 1977, encore moins au financement par les entreprises. L’expérience a démontré qu’une limite trop élevée facilitait l’utilisation de prête-noms par les entreprises. Des contributions limitées à 100 $ rendent cette pratique nettement plus difficile.
Doubler ou même tripler cette somme ne présenterait cependant pas un grand risque de rechute. En revanche, cela pourrait avoir un impact positif pour les partis. Il faut parfois savoir soupeser les inconvénients.
Alors que le financement populaire représentait jusqu’à 85 % des revenus des partis en 2006, ceux-ci sont maintenant financés à plus de 70 % par l’État. L’aide publique étant calculée en fonction des votes obtenus à l’élection, les contributions individuelles deviennent d’autant plus importantes pour ceux dont les résultats électoraux ont été décevants.
Son plus grand nombre de membres faisait jadis la force — et la fortune — du PQ, mais les nouvelles règles de financement ont beaucoup relativisé cet avantage. Outre l’abaissement du plafond, l’abolition de la déduction fiscale pour contribution à un parti politique semble avoir eu un effet dissuasif important, même si cela représentait souvent peu de chose.
Au Canada, c’est au Québec que les règles sont les plus sévères, et de loin. Cela est tout à son honneur, mais le mieux peut aussi être l’ennemi du bien.
L’indigence n’est pas souhaitable pour autant. Les partis politiques ont actuellement une mauvaise presse qu’ils ont sans doute méritée, mais ils ne demeurent pas moins un élément essentiel de notre démocratie.