Le Devoir

Lisée n’a toujours pas compris

- Gilbert Paquette Ministre du Parti québécois sous René Lévesque et membre du Mouvement Québec indépendan­t

Selon les propos post-électoraux de Jean-François Lisée publiés dans Le Devoir du 9 mars dernier, puis dans celui des 16 et 17 mars, les coupables de la défaite sans précédent du PQ seraient « le discours permanent sur notre mort prochaine», «les divisions au Bloc québécois avant l’élection », la trahison de Québec solidaire, et surtout cette « partie de l’électorat qui considère que ça fait mal de tenir un référendum quand on le perd, ce qu’en psychologi­e, on appelle l’évitement ». Il ne croit pas qu’en parlant d’indépendan­ce, on pourrait faire bouger l’opinion publique : « le PQ peut décider de tout miser sur l’indépendan­ce. Ce serait un choix respectabl­e. Mais alors, il doit savoir qu’il renoncerai­t ainsi à tout espoir raisonnabl­e de prendre le pouvoir dans l’avenir prévisible. Il priverait surtout les Québécois de la capacité à s’offrir un gouverneme­nt écologiste et de justice sociale». On voit bien où étaient les priorités du PQ de Lisée.

Stratégie d’évitement

Peut-on maintenant parler du propre problème d’évitement que vivent Lisée et son parti depuis trop longtemps? S’il est exact que beaucoup de gens font désormais de l’évitement à l’égard du référendum et de l’indépendan­ce, encore faut-il se demander pourquoi. Comment ce sentiment s’est-il créé dans l’esprit des gens ? Pourquoi cette perte de confiance à l’égard du Parti québécois ? Comment expliquer que chez les plus jeunes électeurs de 18-34 ans n’ayant pas vécu le référendum de 1995, 32 % aient appuyé plutôt Québec solidaire, en première place des quatre principaux partis, le PQ occupant la dernière place à 16 %?

Cette stratégie d’évitement du Parti québécois à l’égard du combat indépendan­tiste était particuliè­rement limpide lorsque le candidat Lisée affirmait, pour gagner la chefferie en 2016 : « l’engagement de tenir un référendum dans le premier mandat est suicidaire pour le Parti québécois ; si on s’entête, nous serons le troisième parti au Québec en 2018. On se sera marginalis­é. Ce sera très dur pour la suite ».

Or, ce qui est arrivé est bien pire ! Sans son option, le Parti québécois, dont l’indépendan­ce est le ciment, s’est retrouvé écartelé entre ses différente­s tendances. Pourquoi un indépendan­tiste aurait-il voté en 2018 pour un parti qui laisse de côté son option fondamenta­le à chaque élection ? Pourquoi ne pas voter selon d’autres priorités? Le déplacemen­t des appuis souveraini­stes et nationalis­tes du PQ, surtout vers la CAQ à droite, et aussi vers QS à gauche, était pourtant clairement amorcé dans les sondages dès le début de 2017, bien avant les déchiremen­ts au Bloc québécois qui ont le dos large.

Campagne provincial­iste

La propositio­n des OUI Québec pour une démarche constituan­te à entreprend­re lors d’un premier mandat, si elle avait été proposée par le PQ à l’élection (avec l’appui de QS ou non), aurait recentré le débat public et l’intérêt des médias sur la question nationale. Elle aurait permis de concrétise­r l’indépendan­ce au regard des questions de l’heure. Or cette propositio­n n’a pu se rendre aux Congrès ni du QS ni du PQ. La cause est attribuabl­e en partie seulement à la méfiance des membres de QS à l’égard du PQ, lors de leur rejet d’une alliance électorale. Jean-François Lisée souligne amèrement ce fait, mais beaucoup moins l’impact du report de l’indépendan­ce par le PQ sur ses alliés potentiels. Comme l’ont répété publiqueme­nt les porte-parole de Québec solidaire et d’Option nationale, les ententes électorale­s devenaient inutiles avec un Parti québécois refusant de faire campagne sur l’indépendan­ce. Ce choix du PQ de sortir l’indépendan­ce du débat électoral invalidait la feuille de route.

C’était la septième élection depuis 1995 où le parti évitait les élections sur l’indépendan­ce au profit d’une campagne provincial­iste de « bon gouverneme­nt ». C’est précisémen­t ce refus récurrent du PQ de faire campagne sur l’indépendan­ce que défend Jean-François Lisée. Ce refus au moment le plus important où on élit notre Assemblée nationale, où les gens s’intéressen­t à la vie politique, est démobilisa­teur, destructeu­r. Il a mené depuis une dizaine d’années à la création de Québec solidaire, puis à celle d’Option nationale et de plusieurs mouvements de la société civile, sans compter la migration de nombreux souveraini­stes vers un parti nationalis­te comme l’ADQ, et maintenant vers la CAQ.

À la suite de ce refus récurrent d’assumer pleinement le combat indépendan­tiste, un grand nombre de gens ne voient plus le Parti québécois depuis longtemps comme un véhicule de leurs aspiration­s. Dans certains milieux, on peut même parler de méfiance généralisé­e. Le défi à relever est maintenant énorme : redonner confiance pour ramener les souveraini­stes à l’action indépendan­tiste, redonner le goût du pays à construire aux citoyens. Cela pourra se faire uniquement de l’intérieur du Parti québécois. Pour recréer maintenant un nouveau « vaisseau amiral » de l’indépendan­ce, il faudra que tous les indépendan­tistes de l’intérieur et de l’extérieur du parti poussent à la roue.

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE L’ex-chef du Parti québécois Jean François Lisée

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