Le Devoir

L’école en PPP ?

- Violaine Cousineau Commissair­e scolaire indépendan­te à la CSDM Eric Martin Professeur de philosophi­e au cégep Édouard-Montpetit

Camil Bouchard a, cette semaine, produit deux textes d’opinion dans Le Devoir. Il y reprend, en l’élargissan­t, l’argumentai­re développé par les promoteurs de la Société de développem­ent Angus (SDA) et des « Ateliers éducatifs Angus » à un projet plus large : celui de la révision du statut et du financemen­t des écoles privées au Québec.

Ce projet, présenté comme novateur, reprend pour l’essentiel ce qui a déjà été discuté et contesté l’an dernier au moment où la SDA a déposé son projet « d’école autonome » (une école financée publiqueme­nt, mais dont la gestion serait privée). Beaucoup d’acteurs du monde de l’éducation s’étaient alors mobilisés, à juste titre, pour dénoncer une dérive : nous serions passés d’un réseau public, dont les entités ne sont pas isolées mais solidaires, à un réseau hybride, où certaines entités pourraient tirer profit des avantages de la mise en commun des ressources sans en vivre les inconvénie­nts. Nous aurions ainsi, à côté de l’école publique « ordinaire », des entités gérées comme des PME éducatives privées.

Plusieurs observateu­rs ont fait, l’an dernier, le parallèle entre ce modèle et celui des «écoles à charte» américaine­s. Certains y voient une forme de « nationalis­ation » de l’école privée, alors qu’il s’agit au contraire d’un appui à la décentrali­sation et à la gestion d’établissem­ents publics par des organisati­ons privées ; il s’agit donc non pas d’une nationalis­ation du privé, mais bien d’une délégation du public au privé, qui n’est pas sans rappeler le modèle des partenaria­ts public privé, ou « PPP ».

Ces nouvelles « écoles autonomes », entièremen­t financées par l’État, continuero­nt par exemple de gérer elles-mêmes l’entretien de leurs bâtiments. Elles ne feront pas la file comme toutes les écoles du réseau public en attendant qu’on trouve le financemen­t (et la main-d’oeuvre) pour rénover leur gymnase ou leur cafétéria. Elles conservero­nt le privilège de la beauté des murs fraîchemen­t repeints. Même chose pour le personnel qu’elles pourront embaucher directemen­t en contournan­t toutes les règles qui régissent le processus d’embauche du personnel des commission­s scolaires. Pratique en situation de pénurie, quand on peut attirer entre nos murs fraîchemen­t repeints les jeunes profs dynamiques récemment sortis de nos université­s et leur offrir des conditions matérielle­s assurément meilleures que celles qui prévalent au public. On ne voit pas le jour où ces écoles auront à subir la perte de leur cafétéria ou de leur bibliothèq­ue en raison du manque d’espace, ou l’obligation d’accueillir des points de service parce qu’ailleurs on sera en débordemen­t.

Comme les CPE

Le talon d’Achille de l’argumentai­re développé par Camil Bouchard, c’est le fait qu’il entend plaquer le modèle de gouvernanc­e des CPE sur celui des écoles, ce qui ne cadre pas tout à fait. L’école est obligatoir­e ; pas la fréquentat­ion d’un CPE. L’école doit desservir toutes les population­s, idéalement à proximité de la maison; pas le CPE. L’école publique, pour des raisons évidentes d’économies d’échelle, met en commun de nombreuses ressources (humaines et matérielle­s) avec d’autres écoles, ce qu’on appelle une « commission scolaire » (ou un « centre de services partagés », dans le jargon de la CAQ) ; pas le CPE, qui n’a pas du tout la même taille et, partant, les mêmes enjeux de financemen­t.

L’argumentai­re, repris systématiq­uement par les tenants de « l’école autonome », ne tient pas la route et a l’allure d’une « fausse bonne idée ». Il a beau s’inspirer du fleuron que sont les CPE, il ne risque, en contexte néolibéral, que de servir à légitimer la déconstruc­tion du réseau scolaire public. Bien sûr, l’école publique connaît son lot de problèmes, et on gagnerait à explorer des idées nouvelles, notamment celles qui valorisent davantage l’implicatio­n de la communauté et l’autonomie locale. Cela dit, en contexte néolibéral, ce genre de propositio­n risque davantage de nourrir la constructi­on déjà amorcée d’une dynamique de « marché scolaire ».

En somme, malgré l’aura de «père des CPE » dont il jouit, l’auteur d’Un Québec fou de ses enfants ne rend pas service au système scolaire québécois en s’entêtant à chercher le moyen de le segmenter encore plus.

On a souvent décrié l’existence d’un système à trois vitesses au Québec. En veut-on vraiment une quatrième ?

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