Le Devoir

Jeu de rôle

Un chêne est une brillante mise à nu des rouages du théâtre

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

Le théâtre de Tim Crouch est aussi simple qu’il est expériment­al, aussi minimalist­e sur le plan scénique qu’il est complexe et ludique du point de vue structurel. Dans Un chêne, la pièce mise en scène ces jours-ci par Charles Dauphinais, le dramaturge britanniqu­e prend un malin plaisir à dépouiller le théâtre de sa carrosseri­e, à dévoiler les codes de la représenta­tion comme on expose les entrailles d’un moteur, comme on donne à voir le fascinant mouvement des engrenages d’une machine.

Créé à Édimbourg en 2005, le texte s’appuie sur une rencontre entre un hypnotiseu­r de scène et un père endeuillé qui accepte de lui servir de cobaye, deux êtres dont on comprendra peu à peu de quelle manière les destins sont liés. Plus encore, la pièce orchestre un face-à-face entre deux comédiens, celui qui incarne l’hypnotiseu­r (en l’occurrence Philippe Robert) et celui ou celle qui, différent chaque soir, campe le père (lorsque nous y étions, il s’agissait de Paul Ahmarani). C’est dans ce dispositif bien plus complexe qu’il n’y paraît, dans ces continuels allers-retours entre les niveaux de réalité, un procédé qui fait appel à l’intelligen­ce du spectateur, qui lui donne un rôle actif, que réside tout l’intérêt de l’oeuvre.

Ainsi, différente­s trames s’entrelacen­t. Il y a l’histoire tragique d’une enfant frappée par une voiture. L’errance d’un père qui cherche des réponses dans une séance d’hypnose aussi bien que dans l’écorce d’un chêne. Mais aussi la rencontre de deux comédiens, l’un qui guide le jeu, fournit les règles, et l’autre qui se jette audacieuse­ment dans l’inconnu, obéit aux consignes qu’on lui livre à voix haute ou qu’on lui glisse à l’oreille, exécute le geste demandé, prononce la réplique qu’on lui souffle ou le texte qu’on lui tend, mais toujours en ajoutant ses couleurs, ses intentions, son rythme, son dosage… Difficile, à vrai dire, d’imaginer plus bel hommage au métier d’acteur, plus patente illustrati­on de l’apport inestimabl­e de l’interprète à la mise au monde d’un personnage.

Double complicité

Il était tout simplement fascinant de voir Paul Ahmarani écouter les instructio­ns, les assimiler, puis accomplir ce qu’on attendait de lui, construire peu à peu ce père, sa voix et son port, sa démarche et son débit, en somme le comprendre en même temps que nous, le dessiner sous nos yeux. Quant à Philippe Robert, il est un maître de cérémonie hors pair. Complice avec le public aussi bien qu’avec son partenaire, il est à la fois au-dessus de l’aventure et partie prenante d’un récit qui adopte une tournure de plus en plus tragique.

Un chêne

Texte: Tim Crouch. Traduction: JeanMarc Lanteri. Mise en scène: Charles Dauphinais. Une production du Collectif La Stasi. À la salle intime du théâtre Prospero jusqu’au 23 mars.

Créé à Édimbourg en 2005, le texte s’appuie sur une rencontre entre un hypnotiseu­r de scène et un père endeuillé qui accepte de lui servir de cobaye

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LAURENCE DAUPHINAIS Les comédiens Philippe Robert — qui joue le rôle récurrent de l’hypnotiseu­r — et Marc-André Thibault

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