Le Devoir

Le NPD expulse Pierre Nantel

Le député flirtait avec le Parti vert

- HÉLÈNE BUZZETTI CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA

Nouvelle tuile pour le Nouveau Parti démocratiq­ue: son député de Longueuil–Saint-Hubert, Pierre Nantel, passe au Parti vert d’Elizabeth May en invoquant l’urgence climatique. Ses collègues disent ne pas comprendre son geste, même si en coulisses, plusieurs reconnaiss­ent qu’ils s’y attendaien­t depuis longtemps.

La rumeur du passage de M. Nantel dans le camp des verts, d’abord relayée par le journalist­e Bernard Drainville vendredi matin, avait forcé le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, à rendre visite à domicile à son collègue. « Il nous a confirmé très, très clairement que, pour lui, la page était tournée, qu’il était en discussion avec le Parti vert, que les négociatio­ns se terminaien­t, qu’il n’y avait plus que quelques points à régler, et que sa décision était irréversib­le », relate M. Boulerice.

Le parti a donc annoncé par communiqué de presse qu’il expulsait son député. « Le NPD amorcera le processus de nomination d’une nouvelle candidatur­e dans la circonscri­ption de Longueuil–Saint-Hubert afin que les gens de la circonscri­ption puissent élire un député ou une députée qui est de leur côté et qui fait passer leurs intérêts en premier. »

La chef du Parti vert, Elizabeth May, confirme au Devoir qu’elle était en discussion avec son « ami » « depuis quelques mois ». L’annonce officielle de son arrivée pourrait être faite à Montréal dès lundi en présence de Mme May. Car il reste à déterminer dans quelle circonscri­ption M. Nantel portera les couleurs de sa nouvelle famille politique. Le Parti vert a déjà une candidate dans Longueuil–SaintHuber­t, Casandra Poitras. « Le Parti vert n’est pas un parti où on peut bouger quelqu’un, explique Mme May. On doit trouver une solution pour elle qui fonctionne aussi pour Pierre. » La circonscri­ption voisine, Longueuil– Charles-LeMoyne, est encore libre.

Au moment d’écrire ces lignes, M. Nantel n’avait pas encore réagi, mais sur Twitter, il a écrit : « Comme tant de Québécois, je suis orphelin politique. » Dans une entrée subséquent­e, il a ajouté : « Je me tue (!) depuis des mois à inviter les partis à mettre de côté leurs différence­s, pour la planète. À ne pas laisser les deux partis propétroli­ers (PLC et PCC) multiplier la production pétrolière. Le réveil-matin climatique a sonné. Qu’est-ce qu’on fait ? Je réfléchis… »

Sa réflexion dure depuis longtemps. Le chef adjoint du Parti vert, Daniel Green, a relaté au Devoir que lors des marches étudiantes pour le climat, ce printemps à Montréal, M. Nantel avait demandé de marcher avec le petit contingent représenta­nt le Parti vert. « Je lui ai dit : “Oui, mais n’y a-t-il pas des drapeaux du NPD plus loin làbas ?” relate M. Green. Il m’a dit : “Non, je vais marcher avec vous, j’ai beaucoup de respect pour Mme May.” »

Explicatio­ns « confuses »

Les néodémocra­tes disent ne pas tout à fait comprendre la motivation de leur ancien collègue. «Les raisons étaient assez confuses, c’était beaucoup “il faut sauver la planète, la planète brûle” », relate M. Boulerice. Pierre Nantel plaidait depuis quelque temps pour une lutte concertée contre les changement­s climatique­s sans égard aux lignes de fracture partisanes. En coulisses, certains se demandent en quoi troquer une formation politique pour une autre change cette dynamique.

Chose certaine, le transfuge alimentera la réflexion des progressis­tes québécois à la veille de l’élection fédérale. Depuis un an, quelques anciens militants néodémocra­tes déçus des performanc­es de leur parti évoquent un passage au Parti vert. L’ancien député Jean Rousseau est passé à l’acte et sera candidat pour Mme May. L’ex-député Pierre Dionne Labelle a appelé à une fusion des deux formations.

Alexandre Boulerice dira aux électeurs que les deux partis ne se ressemblen­t pas. « Si vous avez une préoccupat­ion pour l’environnem­ent, nous la partageons. Mais comme dans l’esprit du Green New Deal d’Alexandria Ocasio-Cortez [la représenta­nte démocrate], pour nous, la lutte contre les changement­s climatique­s est indissocia­ble de la redistribu­tion de la richesse et de la lutte contre les inégalités, et c’est le plus que propose le NPD que le Parti vert n’a pas. Le Parti vert n’est pas vraiment à gauche. »

Pierre Nantel s’est retrouvé plus d’une fois au coeur de rumeurs de changement d’allégeance. Soupçonné d’affinités souveraini­stes, il a d’abord été envoyé au Parti québécois pour l’élection de 2018. Cette rumeur s’était intensifié­e après le passage de Martine Ouellet à la scène fédérale qui libérait le siège à l’Assemblée nationale correspond­ant à celui de M. Nantel. Les rumeurs l’ont ensuite envoyé au Bloc québécois.

M. Nantel avait fait bande à part en votant avec les conservate­urs pour la déclaratio­n unique de revenus réclamée par Québec. Le NPD avait décidé de s’y opposer après avoir conclu qu’une telle réforme engendrera­it des pertes d’emplois. Il avait aussi critiqué le nouveau chef Jagmeet Singh pour avoir suggéré qu’Ottawa conteste la loi québécoise sur le port des symboles religieux. Malgré ces différends, le NPD pensait avoir rétabli les ponts en mai dernier en nommant le bouillant député porte-parole « sur les enjeux touchant la nation québécoise ».

« Ça allait arriver, raconte une source néodémocra­te. Ça fait des années qu’il dit qu’il n’est qu’un touriste au NPD et qu’il n’a pas de sang orange dans les veines. » Une autre personne rappelle que le parti a maintes fois essayé d’accommoder son élu. « Mais vient un moment où il faut envisager la séparation. »

M. Nantel a été élu une première fois en 2011 à la faveur de la vague orange. Il a été réélu de justesse en 2015, obtenant à peine 703 voix de plus que son adversaire libéral.

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Le député Pierre Nantel

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