Et si les Africains prenaient soin des Africains ?
La flambée d’Ebola de 2014 a soulevé plusieurs problématiques quant à la lutte contre les épidémies en Afrique. Mais au lieu de mettre l’accent sur ces multiples défis, nous avons plutôt lu des fresques apocalyptiques où les pays atteints sont décrits en endroits où rampe la pauvreté, où la santé périt. Promiscuité, rituels barbares, méfiance contre les autorités médicales et l’aide humanitaire, et j’en passe. Il est à croire que, dans ce coin du monde, les gens font tout pour tomber malades et mordre la main qui leur tend une aide si généreuse. Les malades sont non seulement ingrats, mais ils attaquent les infrastructures sanitaires où des volontaires risquent leur vie pour en sauver d’autres.
Hélas, très rares sont les écrits qui ont expliqué le pourquoi de cette réalité. Nous parlons ici d’une zone du monde où les rites et les coutumes sont incrustés dans la vie de tous les jours. Une zone du monde qui croit encore au châtiment divin et aux miracles. Une zone où les rituels d’enterrement acquièrent une importance primordiale, sinon l’âme va errer à jamais dans ce vaste univers. Une zone du monde où les guérisseurs sont consultés plutôt que les médecins, et où les plantes sont préférées aux vaccins. Une zone du monde où l’on préfère mourir chez soi plutôt que sur un lit d’hôpital. Enfin, une zone du monde où l’on traîne encore les séquelles d’une colonisation usurpatrice, et où le Nord apporte plus de mal que de bien aux yeux de la population locale.
[…] Je dresse simplement un tableau global sans lequel la compréhension de la lutte contre Ebola s’avère incomplète. Comment voulez-vous qu’une personne se lave les mains plusieurs fois par jour si elle peine à boire à sa soif? Comment voulez-vous qu’une personne ne touche pas à la dépouille d’un père ou d’un fils alors que l’enterrement est un devoir familial? Comment voulez-vous qu’une personne se fasse soigner dans un hôpital alors que son voisin, ami, ou membre de la famille est mort dans cet hôpital ? Finalement, comment voulez-vous qu’une personne fasse confiance à une équipe soignante qui l’approche enveloppée dans une combinaison d’astronaute et qui refuse de la toucher ?
S’il y a une leçon que nous devions retenir de l’épidémie de 2014, c’est qu’il est candide de penser que nous pouvons lutter contre de telles épidémies sans le soutien et l’engagement absolu de la population touchée. Cet engagement passe avant tout par la compréhension de leur réalité. Malheureusement, dans le feu de l’action, les formations sur la dimension socioculturelle de la maladie sont rares, voire absentes pour les travailleurs humanitaires ou les équipes sanitaires.
Plusieurs se posent la question sur la difficulté de la lutte, alors qu’un vaccin existe déjà. Le vaccin n’est pas la solution, c’est un moyen qui reste pour le moment limité. Il faut comprendre qu’il s’agit, à l’heure actuelle, d’une vaccination « en ceinture », c’est-à-dire une vaccination qui suit l’épidémie à la trace. Dès qu’il y a un cas déclaré, l’équipe de vaccination cible les individus exposés à un risque accru d’infection en raison de leurs liens avec un cas confirmé Ebola. C’est ce qui est appelé, dans le jargon des épidémiologistes, les contacts et les contacts des contacts.
La vaccination en ceinture ne correspond pas à une zone géographique, elle recense le réseau social d’un cas confirmé, ce qui nous ramène à la question de confiance soignant-soigné. Selon l’OMS, la lutte passe aussi par l’isolement des malades pour prévenir une poursuite de la propagation à domicile, […] et par l’inhumation des morts dans des conditions sûres. Encore une fois, ceci n’est possible que si les Africains sont considérés comme des alliés de la lutte, et non seulement des victimes qui doivent attendre l’aide du Nord.
[…] S’il y a une morale qui devait être pensée après la crise sanitaire de 2014, c’est comment former les Africains, comment les outiller pour qu’ils soient des acteurs partenaires de la lutte contre les prochaines flambées. Il est aisé de pointer les doigts vers les failles de la lutte, l’OMS qui a déclaré tardivement l’urgence de santé internationale, les gouvernements africains qui n’ont pas su contenir les dérapages de la population et qui n’ont pas su protéger l’aide humanitaire, l’aide internationale qui a fait preuve d’avarice… mais pouvons-nous pour une fois concentrer nos ressources sur la compréhension des causes plutôt que sur la recherche des coupables ?
Plus que jamais, l’inclusion de la population locale constitue l’avenir de la lutte contre les épidémies. L’Organisation mondiale de la santé, Médecins sans frontières, les chercheurs en sciences humaines et sociales et les épidémiologistes ont du pain sur la planche pour former les populations à haut risque et les préparer à prendre part activement à la lutte. Que cette indispensable collaboration échoue, et nous aurions de sérieuses raisons d’assister à des épidémies dont la lutte sera de plus en plus difficile.