Le Devoir

L’amitié, au-delà du réseau social

Avec Fabuleuses , Mélanie Charbonnea­u veut s’attarder au phénomène des youtubeurs sans porter de jugement

- JÉRÔME DELGADO

La course aux likes, aux followers et au succès d’estime par les réseaux sociaux, les personnage­s de Fabuleuses la vivent de bien des manières. Clara, l’influenceu­se, y est entièremen­t engagée. Laurie songe à en grossir les rangs, pour lancer sa carrière. Élisabeth, elle, s’en tient loin.

Malgré leurs différence­s et la distance qui les sépare, les trois femmes dans la vingtaine cohabitent dans le même univers. Tôt ou tard, elles finiront par se rejoindre.

«Ce qui reste, c’est l’amitié. Des liens réels se créent à travers les réseaux sociaux. On est ensemble, on s’aide», affirme la réalisatri­ce Mélanie Charbonnea­u, en pensant à une scène synthèse où le trio monte un escalier avec un divan.

« Cette scène est jouissive, confie-telle. C’est moi et mes chums de filles. Sans hommes. Enwèye, on pousse ! »

Ce premier long métrage découle d’une websérie, Les stagiaires (20142015), campée dans l’univers de la mode et d’un magazine baptisé Fabuleuse. Comme pour le film, Mélanie Charbonnea­u a écrit le scénario avec l’auteure, et aussi amie, Geneviève Pettersen.

Elles ont voulu «pousser plus loin» les thèmes de l’amitié et des premiers emplois. La réalisatri­ce, qui a vécu l’euphorie de la «célébrité instantané­e» en 2006 — «la première vidéo virale au Québec» —, tenait à intégrer sa fascinatio­n pour le Web

et à mettre en images la découverte de l’âge adulte au féminin.

«C’était important de montrer ce que ça veut dire, avoir 20 ans», commente celle qui n’a pas cherché à éviter «le sexe hardcore ». «Quand tu as 20 ans et [que tu] essaies de devenir une adulte, celles qui t’aident, ce sont tes amies. C’est ton filet. »

Trois rapports

À les voir en chair et en os, complices dans le rire et les anecdotes de tournage, les trois «fabuleuses» affichent une réelle amitié. Faut croire que la fiction peut rejoindre la réalité. À l’instar de leurs personnage­s, elles sont différente­s, y compris dans leurs rapports aux Instagram du monde. Juliette Gosselin (1991) joue Clara, vedette des réseaux sociaux. Elle est la plus active des trois.

Le film lui a permis de constater qu’elle angoissait si le nombre de likes n’était pas à la hauteur de ses attentes. «Je me suis setté des limites, dit celle qui anglicise son langage dans la vie comme à l’écran. Je n’avais plus le droit de regarder mon cellulaire avant d’avoir bu l’entièreté de mon premier café. »

À l’autre extrême, Mounia Zahzam (MED) incarne une Élisabeth féministe dans l’âme et peu friande des réseaux. Dans sa vie, elle est à l’étape de l’apprentiss­age. «Mounia est comme un papa dans Instagram, qui ne sait pas comment ça marche», dit Juliette Gosselin, sous un vacarme de rires.

«Je suis comme vous, reprend la principale intéressée. J’essaie des choses, je cherche mon personnage Instagram.»

Entre les deux, la Laurie du film, Noémie O’Farrell (Jérémie), voit dans les réseaux sociaux un bon outil pour promouvoir ses projets profession­nels. Très présente au théâtre, elle admet sa maladresse avec la technologi­e. Ce matin, elles avaient pris « 600 photos de nous». «Noémie choisit toujours le coin le plus sombre», révèle sa collègue experte.

«Nous avons des moments où on tombe dedans, admet Juliette Gosselin. Le film pose justement la question. Pourquoi on le fait, qu’est-ce qui nous attire? Il parle de ça, sans [porter de] jugement. »

Éventail de femmes

«J’avais envie de comprendre le phénomène et de ne pas juger», confirme Mélanie Charbonnea­u. Elle estime facile de faire dans la «modophobie», terme qu’elle emprunte à l’auteur Thomas O. St-Pierre (Miley Cyrus et les malheureux du siècle : défense de notre époque et de sa jeunesse) pour désigner l’envie de détester son époque.

Celle qui a consacré des heures à des youtubeurs — «je suis tombée dans le vortex» — reconnaît que cet univers ne vient pas sans paradoxes. Le vide et la surdose de production existent. Mais aussi des gens qui embrassent des causes. Elle admire aussi l’audace de celles qui se montrent sans filtres.

Mélanie Charbonnea­u ne prétend pas définir ni l’influenceu­se ni son admiratric­e. Ni ce qui est bien ou mal. Sa coscénaris­te et elle ont tenu à dresser un éventail de personnali­tés, à «parler des femmes qui nous ressemblen­t ».

Le résultat à l’écran, concède l’auteure de courts métrages, traduit le travail d’écriture de «deux femmes différente­s», sans ego. «Geneviève, sa force, ce sont les dialogues, les voix des personnage­s. Moi, c’est la structure.»

Le trio Clara-Laurie-Élisabeth est un tout équilibré. La structure narrative, comme le dit son auteure, « c’est l’élève qui dépasse le maître », avec un troisième personnage médiateur.

«Ce sont trois voix à l’intérieur de pas mal de femmes. On avait envie de parler de nos paradoxes», dit celle qui donne en exemple le besoin de s’affirmer, l’ambition et le souci de l’apparence.

Mélanie Charbonnea­u ne voulait pas faire un film Instagram, où tout est beau et soigné. Adepte, dit-elle, du «bordel ambiant», elle filme la société telle qu’elle est, baroque, bigarrée.

C’est par son rythme que Fabuleuses s’inscrit dans l’approche instagrama­ble. «La réalisatio­n a quelque chose des stories Instagram, [du principe] de passer d’une idée à l’autre, dit-elle, en claquant des doigts. On passe d’une scène à l’autre, sans poser de questions. On rentre dedans. »

La course au succès est présente, mais ne jugez personne, prie la réalisatri­ce. «Tu peux être influenceu­se ou néoféminis­te. Ou les deux et avoir le droit d’exister. »

Fabuleuses prend l’affiche le 21 août.

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