Le Devoir

Un kaléidosco­pe de perception­s changeante­s

Puissante mise en abîme sur fond de conflits raciaux

- CRITIQUE ODILE TREMBLAY

Luce, de Julius Onah, est un thriller chologique qui refuse de prendre le blic pour des imbéciles. Aucun ché ici, rien de surligné. Rare ne en des temps où il est de bon ton d’expliquer l’action, en lui refusant ses zones de mystère. Il faut dire que Luce, qui repose sur son brillant scénario tissé d’ellipses, est issu d’une pièce de tre du dramaturge afro-américain J. C. Lee, d’origine somalienne, également coscénaris­te, qui connaît de l’intérieur les enjeux abordés.

Car le héros adolescent Luce (Kelvin Harrison Jr.), jadis enfant-soldat érythréen, a été adopté à l’âge de sept ans par un couple à l’aise et très libéral. Après une thérapie pour évacuer ses mes, il est devenu l’orgueil de ses rents (Naomi Watts et Tim Roth) et la fierté de son collège : étudiant modèle, orateur de premier plan, sportif émérite : portrait en pied du jeune Noir prouvant à l’Amérique que toutes les réhabilita­tions sont possibles. Sa mère le compare à Obama, à qui il ressemble en effet.

Or voici que tout se lézarde quand son enseignant­e, une des seules Noires à occuper cette chaire (formidable tavia Spencer), va rencontrer ses parents après que le jeune homme eut pondu un texte sur la violence comme outil de changement­s sociaux et laissé dans son casier des feux d’artifice prohibés.

Le film, au départ une oeuvre sur le passage à l’âge adulte sur fond de dérations raciales, joue bientôt guïtés en renvoyant chacun des nages à ses zones d’ombre. Il aborde toutes les pressions que la société peut exercer sur quelqu’un afin de le faire entrer dans un moule idéal, en refusant de le laisser évoluer avec ses propres soins, malaises et blessures d’enfance, des gouffres de violence parfois.

De bon niveau technique, avec une musique formidable issue des pulsations du continent africain, ce kaléidosco­pe est avant tout une oeuvre de tissage et de montage complexes entre école et son, servie par une distributi­on de premier plan et des dialogues ciselés.

Luce tend un miroir au spectateur engoncé dans ses préjugés, en sant les notions de vérité et de mensonge, de bonté et de malveillan­ce des person

nages mis en scène, quitte à manipuler son audience au passage. Les perception­s se superposen­t, se désintègre­nt. Même une jeune femme qui assure avoir été violée ment peut-être. Chacun a des intérêts et une image à défendre.

Kelvin Harrison Jr. joue une partition équivoque de duplicité. Le couple très crédible formé par Naomi Watts et Tim Roth, à mesure que la confiance en son garçon s’émousse puis reprend du tonus, laisse entrevoir les failles conjugales après l’adoption de Luce. Lui dans une veine plus rationnell­e, elle tout en vité et en contradict­ions agoniques. La fonction d’enseignant­e d’Octavia cer se double de graves problèmes dans sa vie privée auprès d’une jeune soeur psychotiqu­e. Elle tire son humanité périeure et ses tyrannies sourdes des blessures profondes de sa vie.

À qui donner le bon Dieu sans fession ? Au beau jeune homme riant qui manipule les autres, mais qu’à quel point ? À une enseignant­e pas toujours déchiffrab­le, attachée, il, à sa perte ? C’est l’hypocrisie de l’Amérique, avec ses luttes de pouvoir, ses ségrégatio­ns et ses faux-semblants, qui entre dans le collimateu­r du film, sans réponses à la clé. Plutôt des questions plein la tête qui donnent envie de plonger au-delà des apparences pour accepter chez l’autre sa part de mystère et ses abîmes. Luce

De Julius Onah, d’après la pièce de J. C. Lee. Avec Kelvin Harrison Jr., Naomi Watts, Octavia Spencer, Tim Roth. États-Unis, 2019, 109 minutes.

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JON PACK / ENTRACT FILMS Tim Roth et Naomi Watts incarnent les parents adoptifs de Luce, ex-enfant soldat.
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