Accoucher de soi
Le premier roman de Terese Marie Mailhot ouvre une porte sur la réalité des femmes autochtones
Il arrive que l’on disparaisse sans disparaître, comme si on ravalait une souffrance extrême à l’intérieur de soi. C’est peut-être ce qui est arrivé à Terese Marie Mailhot, auteure de Petite femme montagne, son premier livre, traduit en français aux Éditions Marchand de feuilles.
Petite femme montagne a été entrepris alors que l’auteure séjournait à l’hôpital psychiatrique, assaillie de pensées suicidaires, en proie à un chagrin d’amour incontrôlable. Il se présente sous forme de lettres adressées à son amoureux.
Autochtone, elle y revient sur son passé, sur sa relation avec sa mère, et avec son père, qui a abusé d’elle lorsqu’elle était enfant. Sa mère, Whazinak, était poète et activiste. Whazinak a tenu une correspondance avec Salvador Agron, un jeune homme de 16 ans condamné à mort pour le meurtre de deux adolescents.
Un artiste
Cette correspondance a été utilisée par Paul Simon dans la comédie musicale The Capeman, qui raconte l’histoire de Salvador Agron. « La pièce réduisait maman à une “nana hippie autochtone”, comme l’a écrit Greg Evans dans Variety », écrit-elle. Le père de Terese Marie Mailhot, Ken Mailhot, était un artiste, violent et alcoolique.
« Petite femme montagne » ou « Asiniy Wache Iskewis » est un nom qui lui a été donné par un ancien.
En plus d’être un petit bijou d’écriture, Petite femme montagne ouvre une porte sur l’intériorité des femmes autochtones, sur leur résistance silencieuse à la violence.
«J’avais hérité des yeux noirs et d’une majestueuse douleur que tes femmes blanches ne porteront et ne posséderont jamais», écrit-elle à son amoureux. Ou encore, plus loin:
« J’avais envisagé de mourir comme une Autochtone, en marchant le long d’une route de campagne de ma réserve, avant de vraiment envisager de vivre.»
Partir est souvent la seule issue pour les jeunes vies autochtones. «Les femmes autochtones quittent seules les danses de leur jeunesse et entrent dans des maisons qu’elles ne connaissent pour avoir une chance d’être loin. La nuit, leurs silhouettes traversent les autoroutes et se précipitent contre les voitures. »
Elle raconte aussi la haine de soi. « Peux-tu me laver comme une sainte ? Transformer la squaw en mère avec un visage, des pores et un corps, et une histoire personnelle positive?» D’ailleurs, les outils mêmes qui sont proposés dans le cadre de sa thérapie, le travail sur l’estime de soi par exemple, lui sont culturellement étrangers.
«Je crois que l’estime de soi est une invention des Blancs pour séparer encore plus les gens les uns des autres. Ça demande aux gens d’estimer leur valeur, et même ça sous-entend qu’ils ont de la valeur. On dirait un capitalisme de l’identité. »
Toute cette souffrance mènera finalement à la rédaction du livre, ou l’auteure révèle les abus sexuels dont elle a été victime. Mais à travers ce cheminement, la différence culturelle persiste.
«Mon peuple cultivait la souffrance, écrit-elle. Comme Dieu cultivait son jardin tout en sachant qu’il ne pouvait pas retenir ni protéger la vie à l’intérieur. L’humanité est née de la souffrance.»
Une voix comme on en entend peu, qu’il faut prendre le temps d’écouter.