Le Devoir

Accoucher de soi

Le premier roman de Terese Marie Mailhot ouvre une porte sur la réalité des femmes autochtone­s

- CAROLINE MONTPETIT

Il arrive que l’on disparaiss­e sans disparaîtr­e, comme si on ravalait une souffrance extrême à l’intérieur de soi. C’est peut-être ce qui est arrivé à Terese Marie Mailhot, auteure de Petite femme montagne, son premier livre, traduit en français aux Éditions Marchand de feuilles.

Petite femme montagne a été entrepris alors que l’auteure séjournait à l’hôpital psychiatri­que, assaillie de pensées suicidaire­s, en proie à un chagrin d’amour incontrôla­ble. Il se présente sous forme de lettres adressées à son amoureux.

Autochtone, elle y revient sur son passé, sur sa relation avec sa mère, et avec son père, qui a abusé d’elle lorsqu’elle était enfant. Sa mère, Whazinak, était poète et activiste. Whazinak a tenu une correspond­ance avec Salvador Agron, un jeune homme de 16 ans condamné à mort pour le meurtre de deux adolescent­s.

Un artiste

Cette correspond­ance a été utilisée par Paul Simon dans la comédie musicale The Capeman, qui raconte l’histoire de Salvador Agron. « La pièce réduisait maman à une “nana hippie autochtone”, comme l’a écrit Greg Evans dans Variety », écrit-elle. Le père de Terese Marie Mailhot, Ken Mailhot, était un artiste, violent et alcoolique.

« Petite femme montagne » ou « Asiniy Wache Iskewis » est un nom qui lui a été donné par un ancien.

En plus d’être un petit bijou d’écriture, Petite femme montagne ouvre une porte sur l’intériorit­é des femmes autochtone­s, sur leur résistance silencieus­e à la violence.

«J’avais hérité des yeux noirs et d’une majestueus­e douleur que tes femmes blanches ne porteront et ne posséderon­t jamais», écrit-elle à son amoureux. Ou encore, plus loin:

« J’avais envisagé de mourir comme une Autochtone, en marchant le long d’une route de campagne de ma réserve, avant de vraiment envisager de vivre.»

Partir est souvent la seule issue pour les jeunes vies autochtone­s. «Les femmes autochtone­s quittent seules les danses de leur jeunesse et entrent dans des maisons qu’elles ne connaissen­t pour avoir une chance d’être loin. La nuit, leurs silhouette­s traversent les autoroutes et se précipiten­t contre les voitures. »

Elle raconte aussi la haine de soi. « Peux-tu me laver comme une sainte ? Transforme­r la squaw en mère avec un visage, des pores et un corps, et une histoire personnell­e positive?» D’ailleurs, les outils mêmes qui sont proposés dans le cadre de sa thérapie, le travail sur l’estime de soi par exemple, lui sont culturelle­ment étrangers.

«Je crois que l’estime de soi est une invention des Blancs pour séparer encore plus les gens les uns des autres. Ça demande aux gens d’estimer leur valeur, et même ça sous-entend qu’ils ont de la valeur. On dirait un capitalism­e de l’identité. »

Toute cette souffrance mènera finalement à la rédaction du livre, ou l’auteure révèle les abus sexuels dont elle a été victime. Mais à travers ce cheminemen­t, la différence culturelle persiste.

«Mon peuple cultivait la souffrance, écrit-elle. Comme Dieu cultivait son jardin tout en sachant qu’il ne pouvait pas retenir ni protéger la vie à l’intérieur. L’humanité est née de la souffrance.»

Une voix comme on en entend peu, qu’il faut prendre le temps d’écouter.

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BEOWULF SHEEHAN Petit bijou d’écriture, le livre de Terese Marie Mailhot traite de la résistance silencieus­e à la violence chez les femmes autochtone­s.
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Terese Marie Mailhot, traduit par Annie Pronovost, Édition Marchand de feuilles, Montréal, 2019, 200 pages
Petite femme montagne ★★★★ Terese Marie Mailhot, traduit par Annie Pronovost, Édition Marchand de feuilles, Montréal, 2019, 200 pages

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