Grand train de vie
Avec 86 000 kilomètres de voies ferrées qui sillonnent en tous sens le pays, il va sans dire que le train occupe aujourd’hui encore une place privilégiée au coeur de la Russie et de l’imaginaire russe.
Du mythique Transsibérien aux lignes régionales d’«Elektritschka», les rails servent à la fois d’ossature et de système sanguin à ce géant aux pieds d’argile.
Une réalité qui est palpable dans chacune des dix nouvelles, à la fois drôles et sensibles, qui composent La locomotive des soeurs Tcherepanov, d’Olga Slavnikova, écrivaine née en 1957 et auteure de plusieurs romans, dont 2017 (Gallimard, 2011), qui lui a valu en 2006 le prix Booker russe.
Un ancien fonctionnaire déclassé et recyclé en vendeur de boîtes de magicien doit se rendre à Moscou pour ses petites affaires un 8 mars dans un compartiment où trois amies sont bien décidées à faire la fête («La chapka de Victor Padérine »).
Un accident ferroviaire donne lieu au déversement d’une substance dangereuse et inconnue qui, en contact avec du plomb, pourrait être catastrophique («La substance»). Mais les lingots de plomb que devaient transporter les wagons voisins étaient-ils authentiques ou ont-ils été détournés en douce ?
Un homme, ailleurs, réticent à entreprendre un voyage professionnel, se retrouve dans un compartiment où une inconnue lit à un gamin turbulent une histoire écrite par son ex-compagne et dans laquelle il se reconnaît (« Le secret de la chatte »).
Faisant le choix de s’émanciper souvent du réalisme, l’auteure de L’immortel (Gallimard, 2004) ne se prive pas d’introduire dans ces nouvelles des éléments de surnaturel à la Gogol qui nourrissent un portrait oblique et un peu amer d’un monde où règnent déliquescence économique, corruption des coeurs et des fonctionnaires et solitude en tous genres.