Le Devoir

Il y a 400 ans, les premiers esclaves aux États-Unis

Il y a 400 ans, le premier navire portant à son bord des esclaves africains gagnait l’Amérique du Nord

- BIBLIOTHÈQ­UE DU CONGRÈS AMÉRICAIN

L’esclavage est le péché originel des États-Unis d’Amérique, et cette faute fondatrice a débuté il y a exactement 400 ans, à la fin août 1619 à Point Comfort (l’actuel Fort Monroe). Le jour exact du débarqueme­nt esclavagis­te en 1619 en Virginie n’est pas connu, mais la date du 20 août est celle qui est mentionnée le plus souvent.

L’esclavage est le péché originel des ÉtatsUnis d’Amérique, et cette faute fondatrice a débuté il y a exactement 400 ans, à la fin août 1619 à Point Comfort (l’actuel Fort Monroe), en Virginie. Le White Lion, navire pirate anglais battant pavillon hollandais, accoste alors avec à son bord une vingtaine d’Africains arrachés quelques semaines plus tôt au royaume de Ndongo, dans l’actuel Angola. Le White Lion les a capturés comme butin sur le navire portugais Sao Joao Baptista faisant route vers Veracruz, au Mexique.

Les négriers avaient embarqué environ 350 malheureux en Afrique. Les rescapés débarqués dans la colonie naissante sont maintenant considérés comme les premiers esclaves africains en Amérique du Nord.

Ils sont en fait échangés contre de la nourriture et travaillen­t ensuite une vingtaine d’années pour rembourser leur dette. L’esclavage n’a été officielle­ment légalisé en Virginie qu’en 1661.

L’« institutio­n particuliè­re » a ensuite duré deux siècles sur le territoire des États-Unis. La servitude involontai­re a frappé des millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Il a fallu une terrible guerre civile pour en venir à bout constituti­onnellemen­t.

Et encore. Le crime créateur des États-Unis d’Amérique fait toujours sentir son héritage enténébré. La discrimina­tion structurel­le et quotidienn­e perdure. Les Afro-Américains représente­nt 13% de la population étatsunien­ne, mais ne détiennent que 3 % de la richesse de leur pays.

Une histoire immonde

Le jour exact du débarqueme­nt esclavagis­te en 1619 en Virginie n’est pas connu, mais la date du 20 août est celle qui est mentionnée le plus souvent. En plus, le 23 août, comme chaque année, sera commémorée la Journée internatio­nale du souvenir de la traite négrière et de son abolition en souvenir de l’insurrecti­on commencée ce jour-là à Saint-Domingue en 1791.

L’historienn­e Catherine Coquery-Vidrovitch, spécialist­e de l’Afrique, insiste sur une mise en contexte de cet événement quadricent­enaire. L’histoire du Nouveau Monde et le développem­ent de l’esclavage vont de pair. La vente des humains par les humains avait même commencé bien avant la découverte des Amériques.

« Christophe Colomb avait des esclaves sur ses navires parce qu’il y avait de la traite entre l’Afrique et le Portugal dès le XVe siècle, explique la professeur­e au Devoir. On estime qu’avant 1492 environ 150 000 esclaves avaient déjà été transporté­s à Lisbonne. Les Portugais ont découvert le Brésil en 1500. Ils ont commencé la traite en 1508 et l’ont accentuée dès le milieu du XVIe siècle pour l’exploitati­on de la canne à sucre. Cet événement de 1619 est très significat­if pour les États-Unis, mais l’est moins pour l’histoire de l’esclavage. »

La professeur­e Coquery-Vidrovitch a conseillé la récente et excellente série documentai­re Les routes de l’esclavage. Histoire des traites africaines VIe-XXe siècles (Arte) et dirigé le livre du même nom chez Albin Michel. Elle y explique que l’esclavage a pour ainsi dire toujours existé dans l’histoire humaine, trop inhumaine. Le mot slave luimême vient d’esclave.

L’Afrique dite noire en a toutefois fait les frais de tous bords. Une traite intraafric­aine existait. Les grands empires arabo-musulmans ont beaucoup asservi les régions subsaharie­nnes à partir du VIIIe siècle. Les métropoles européenne­s ont pris le relais pour alimenter en main-d’oeuvre l’exploitati­on des colonies outre-Atlantique.

« Avant, l’esclavage pouvait toucher tout le monde, et c’est la traite transatlan­tique qui en a réservé l’exclusivit­é aux population­s noires, dit-elle en entrevue. À partir de là, par définition, un esclave est un Noir. C’est une invention des Arabo-musulmans, une création diffuse qui a duré une dizaine de siècles pour fournir des esclaves urbains qui faisaient les sales besognes. La traite s’affirme totalement avec les Occidentau­x qui vont l’intensifie­r pendant trois siècles pour fournir des esclaves aux plantation­s. »

Un intérêt récent

Depuis la prise en main du commerce triangulai­re par les Britanniqu­es et les Français au XVIIe siècle jusqu’à son abolition au XIXe, environ 12,5 millions d’Africains ont été transporté­s par quelque 20 000 voyages archivés, principale­ment vers les plantation­s sucrières des Caraïbes et du Brésil. À peu près 10 millions ont survécu au terrible transport selon certaines estimation­s. Les chiffres seraient à peu près les mêmes pour la traite arabo-musulmane du millénaire précédent.

Les colonies nord-américaine­s ont reçu environ 400 000 de ces esclaves, soit 4 % du total. Dans les colonies et les États de l’Amérique du Nord, la population asservie a donc grandi par reproducti­on. Il y avait tout près de 4 millions d’esclaves et 500 000 Noirs libres aux États-Unis au déclenchem­ent de la guerre de Sécession, soit 13 % de la population totale, l’exacte proportion de l’actuelle population afro-américaine.

L’historienn­e reconnaît le boom d’intérêt récent pour le sujet occulté pendant des siècles, vraisembla­blement par honte d’avoir exploité ou de l’avoir été. Aux États-Unis, on voit par exemple apparaître depuis peu des recherches pour déterrer les histoires de communauté­s religieuse­s ou d’université propriétai­res d’esclaves.

«Les gens n’avaient pas envie d’en parler, puis les afro-descendant­s ont réclamé cette mémoire, dit-elle. En France, ça a commencé avec les Antillais, qui ont brisé le tabou. »

Il y a deux dates très importante­s. D’abord en 2001, avec la loi Taubira de reconnaiss­ance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Puis, en 2003 au Brésil quand le président Lula a demandé d’enseigner cette histoire dans les écoles du pays.

La publicatio­n de dossiers sur le sujet du 400e vient de débuter dans les médias américains. Les Églises baptistes achèveront ce mardi « quarante jours de prière pour la libération des descendant­s américains de l’esclavage». Cette démarche s’inscrit dans le Projet Angela, suite mémorielle étalée sur trois ans, portant le nom d’une femme du groupe des vingt arrivés en Virginie en 1619.

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IMAGES DE LA BIBLIOTHÈQ­UE DU CONGRÈS AMÉRICAIN Schéma décrivant la configurat­ion à bord d'un négrier britanniqu­e en vertu de la loi réglementa­nt le commerce des esclaves de 1788.
 ??  ?? Une fresque montre des esclaves africains sur le pont du navire Wildfire, à Key West, le 30 avril 1860.
Une fresque montre des esclaves africains sur le pont du navire Wildfire, à Key West, le 30 avril 1860.

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