Le Devoir

Briser le silence

Magali Laurent délaisse le fantastiqu­e et livre un récit psychologi­que sur la maltraitan­ce

- CRITIQUE MARIE FRADETTE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

La petite Alice fuit la maison pour échapper à la violence de sa mère et se réfugie dans la voiture rouge garée tout près de chez elle. Elle répète le manège chaque fois que la vie à la maison est insoutenab­le. Un jour, Nathan, son voisin, embarque dans sa voiture pour aller rejoindre une amie et découvre en chemin la petite recroquevi­llée, apeurée, tout au fond du banc. Entre la responsabi­lité de la reconduire chez elle et l’urgence de la sauver de la maltraitan­ce, le choix est clair. Mais si on l’accusait d’enlèvement ?

Magali Laurent, auteure des séries « B.O.A » et « Billy », délaisse ici les dystopies et le fantastiqu­e pour plonger dans un récit psychologi­que exploitant les thèmes délicats de la maltraitan­ce et de la responsabi­lité civile. L’ogre et l’enfant, c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachemen­t, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.

L’ogre, c’est ce mal, bien sûr, la peur qui gruge la petite Alice de l’intérieur, qui l’empêche de briser le silence. C’est aussi cette mère, ce bourreau, ce monstre qui semble plus fort que tout. Et Nathan se reconnaît quelque part dans ce mal qui dévore l’intérieur, lui qui se croit responsabl­e de la mort de sa propre mère survenue lorsqu’il était petit.

L’auteure parvient assurément ici à mettre en scène des personnage­s forts, entiers et crédibles. On s’attache à la petite Alice, tremblante, fragile et candide qui voit en Nathan un prince sauveur. Aussi à cet adolescent perturbé, mais sensible, à la fois abattu et courageux qui fera tout pour sortir l’enfant des mains de l’ogre. La haine, la violence et la folie de la mère, tout comme la culpabilit­é éprouvée par le héros, nous parviennen­t ainsi avec intensité, ce qui contribue à maintenir l’intérêt de la lecture.

Une formule lourde

Si l’émotion ressentie par les personnage­s est rendue avec finesse, que la tension de l’histoire est maintenue grâce à une quantité de rebondisse­ments, la forme du roman et l’abondance d’histoires parallèles, de pistes qui viennent se greffer à la trame principale tendent à alourdir l’ensemble. Il y a d’abord ce récit à deux voix, celui d’Alice et celui de Nathan dont les pensées, les impression­s sont rapportées tour à tour par un narrateur. Cette façon de faire tout à fait valable aurait suffi à l’histoire, mais Magali Laurent ajoute une troisième voix, celle de Nathan enfant dont le drame, nourri par l’ogre qui l’habite depuis longtemps, est raconté par le même narrateur.

Avec ce troisième récit, c’est tout le passé du héros qui nous est livré : l’histoire de son père qui avait une maîtresse, la vérité sur la mort de sa mère, la famille reconstitu­ée après le décès, les non-dits qui brouillent le quotidien, et plus encore. Tout cela est narré en parallèle avec l’histoire d’horreur vécue au présent par la petite. Bien que le sujet exploité soit pertinent et singulier, l’auteure manie maladroite­ment la fusion entre les récits qui restent au final trop chargés.

 ?? TIMOTHY A. CLARY AGENCE FRANCEPRES­SE ?? L’ogre et l’enfant, c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachemen­t, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.
TIMOTHY A. CLARY AGENCE FRANCEPRES­SE L’ogre et l’enfant, c’est tout à la fois un récit tendre sur l’attachemen­t, sur l’espoir d’une vie meilleure et une histoire difficile faite de violence, de haine et de drame familial.

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