Le Devoir

Les pieds sur terre

Quelques textes de Jean-Pierre Issenhuth (1947-2011) en forme de récolte

- CRITIQUE CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il n’est pas facile de rendre justice à quelqu’un qui a si bien parlé des autres — écrivains, livres ou vers de terre. Jean-Pierre Issenhuth, écrivain, poète et critique, mort en 2011, était de ceux-là, même s’il lui était arrivé d’avoir la dent dure.

Né en 1947 à Troyes, en France, Issenhuth était débarqué au Québec en 1969, où il est devenu enseignant au secondaire avant de signer en franc-tireur des critiques de poésie dans Le Devoir durant quelques années au début des années 1990.

Le jardin parle réunit des textes — notes, nouvelles, poèmes — parus entre 1985 et 2010, surtout dans Liberté, revue dont il a longtemps été membre du comité de rédaction. Des textes traversés de ses deux passions, la culture et l’agricultur­e, illuminés par un sens de la formule et un goût pour l’inactuel qui nous arrive comme une grande respiratio­n d’air frais. On y trouve aussi quelques lettres échangées avec l’essayiste Pierre Vadeboncoe­ur, avec qui il a entretenu pendant 30 ans une correspond­ance soutenue.

« Issenhuth n’était pas un sorteux », se souvient François Hébert dans la présentati­on de ces textes, courts ou longs, qui semblent tous avoir été écrits sur le fil du rasoir. « Il avait une

vie intérieure si ample et complexe, sans être compliquée, qu’il pouvait être chez lui presque partout. »

On tient peut-être ici la clé de son amour immodéré des cabanes savamment rapiécées (« Seule une insécurité calculée empêche d’oublier la précarité de la vie », croyait-il). Ceux qui ont lu ses riches carnets s’en souviennen­t : Le petit banc de

bois (Trait d’union, 2003), Le cinquième monde ou Chemins de sable (Fides, 2009 et 2010) en parlaient à merveille, tout en nous parlant aussi de bien d’autres choses. Érudits et organiques, ces commentair­es de lecture ou de relecture fignolés et polis semblent ne pas avoir pris une ride.

De son amour des espaces ouverts — jardins, forêts, landes —, où le temps semble s’écouler selon d’autres règles, découle peut-être aussi ce texte magnifique qu’il consacrait aux îles Solovki, caillou russe planté dans la mer Blanche, terre d’exil, de prière et de déportatio­n. Un lieu qui fascine Issenhuth, qui s’autorise l’un de ces courts-circuits poétiques dont il est capable : « Un soir d’août 1975, à Twillingat­e, au nord de Terre-Neuve, j’ai cru entendre les cloches de Solovki. J’étais à l’extérieur du village, sur un tas de pierres, quand les carillons des églises se sont mis à sonner en même temps sur la baie Notre-Dame, où dérivaient des restes d’iceberg. »

Après tout, Issenhuth, qu’Yvon Rivard avait surnommé affectueus­ement le « Thoreau de Laval-Ouest », s’autorisait de son « amour d’aller partout » pour faire fi des frontières entre les genres et les pays.

« Le jardin parle », donc. Et que nous dit-il ? Les lombrics, entre autres, en phase avec Jean-Pierre Issenhuth, les pieds sur terre, pourraient nous parler de lenteur et d’approfondi­ssement. Et même de liberté. Il suffira de se taire et d’écouter un peu plus.

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GEORGES GOBET AGENCE FRANCE-PRESSE C’est connu, Jean-Pierre Issenhuth aimait énormément les espaces ouverts — jardins, forêts, landes —, où le temps semble s’écouler selon d’autres règles.

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