Le Devoir

Les travailleu­rs de la santé se disent blessés et appellent à l’aide

- ÉRIC DESROSIERS

Les syndicats dénoncent le manque de volonté politique devant l’augmentati­on du nombre de blessures physiques et psychologi­ques chez les travailleu­rs du secteur de la santé et des services sociaux au Québec.

Plus de 24 millions d’heures ont dû être compensées en assurance salaire dans l’ensemble des établissem­ents publics du secteur durant l’année 20172018, soit un bond de presque 28 % en seulement trois ans et l’équivalent de 13 250 postes à temps plein, ont déploré dimanche plus d’une demi-douzaine d’organisati­ons syndicales en citant des chiffres du ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Cette hausse est entre autres le résultat de la multiplica­tion de troubles musculosqu­elettiques, dont les coûts ont grimpé de 36 % depuis seulement deux ans, mais aussi de chutes (+ 45 %) et d’actes violents (+ 82%). Elle découle aussi de blessures psychologi­ques : près de 40 % des dossiers en assurance salaire impliquent un diagnostic de santé mentale.

Coups de pied et moral brisé

« Ça tombe comme des mouches présenteme­nt dans notre réseau sans que personne s’en soucie », a lancé Sylvie Nelson, présidente du Syndicat québécois des employées et employés de service lors d’une conférence de presse à

Montréal. «Les instances gouverneme­ntales doivent prendre leurs responsabi­lités et agir rapidement. »

Ces accidents et lésions prennent toutes sortes de formes. Ils vont des préposés aux bénéficiai­res qui se blessent au dos parce qu’ils sont de moins en moins nombreux à s’occuper de plus en plus de patients à l’infirmière enceinte qui perd son bébé après avoir reçu un coup de pied au ventre. C’est aussi l’histoire de ces gens qui travaillen­t auprès de personnes déficiente­s intellectu­elles qui essuient injures et crachats quotidienn­ement, de ces intervenan­ts en centres jeunesse abandonnés à leur sort à leur premier jour de travail et qui vont se cacher dans un local, ou de cette préposée auprès de personnes âgées qui se sent tellement débordée et démunie qu’elle dit laisser son coeur à la porte lorsqu’elle entre au travail. « Des exemples, on n’en manque pas. On pourrait en donner toute la journée », a observé Frédéric Brisson du Syndicat canadien de la fonction publique.

Cette «crise» a plusieurs causes, font valoir les syndicats. La rareté de main-d’oeuvre et, plus généraleme­nt, le manque de ressources financière­s et humaines en font partie, tout comme les réformes organisati­onnelles du gouverneme­nt précédent qui ont laissé les travailleu­rs du secteur avec un plus grand sentiment d’isolement et d’impuissanc­e.

Et puis, on manque cruellemen­t de moyens de prévention. L’actuelle Loi sur la santé et sécurité du travail date de 1979 et ne reconnaît pas le secteur de la Santé et des Services sociaux comme un secteur prioritair­e en matière de prévention, contrairem­ent à ceux de la constructi­on, des forêts ou des industries chimiques.

Le ministre du Travail, Jean Boulet, avait promis une réforme de la Loi avant la fin de l’année, mais l’a remise à plus tard cet hiver. « Le coeur de notre modernisat­ion de la Loi sur la santé et sécurité du travail portera sur la prévention, et elle sera déposée en temps et lieu », a assuré son cabinet par courriel au Devoir dimanche.

Manque de volonté

Les syndicats en ont aussi contre la CNESST. Dans un rapport d’audit au mois de mai, la vérificatr­ice générale du Québec constatait que, loin d’avoir augmenté, l’effort de l’organisme « a diminué au fil du temps » en matière de prévention, au moment où le Québec « accuse des retards importants par rapport à d’autres administra­tions ». Elle rapportait, par exemple, qu’en dépit des promesses du contraire, on n’y fait toujours pas de la santé psychologi­que une priorité, pas plus que le secteur de la santé n’y est une priorité.

Le gouverneme­nt serait intervenu depuis longtemps pour corriger la situation si les faits que l’on dénonce se produisaie­nt dans le secteur privé, a déclaré Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux à la CSN. « C’est le ministère de la Santé qui est l’employeur ici. Est-ce que le gouverneme­nt serait en conflit d’intérêts ? »

Des correctifs pourraient être apportés dès maintenant sans même attendre une réforme de la loi, a souligné Linda Lapointe, vice-présidente à la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé du Québec. L’actuelle convention collective dans le secteur, qui a été signée il y a trois ans, et qu’on s’apprête à renégocier, comprenait une lettre d’entente où employeurs et syndicats s’engageaien­t notamment à partager leurs données et mettre en avant les meilleures pratiques en matière de prévention. «On a été très déçus de la participat­ion patronale, dit Linda Lapointe. Pendant trois ans, on n’a eu que du placotage. La volonté n’était clairement pas là. »

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Le nombre d’heures compensées en assurance salaire ont augmenté de 28 % en trois ans, selon les syndicats du secteur de la santé.

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