La clef de voûte
Les mesures annoncées la semaine dernière par la ministre de la Culture, Nathalie Roy, pour soutenir la sauvegarde du patrimoine bâti au Québec sont peut-être, comme elle le dit, la «première pierre» d’un grand chantier à venir, mais à l’évidence, ces annonces bonbons tournent toujours autour du pot: tant et aussi longtemps que la bonne volonté des municipalités dictera la protection des bâtiments patrimoniaux, il manquera la clef de voûte de toute stratégie digne de ce nom. Une prochaine révision de la Loi sur le patrimoine culturel doit s’attaquer à ce vice de construction.
La ministre Roy avait choisi le parterre de la Fédération québécoise des municipalités la semaine dernière pour annoncer la bonification des incitatifs à la restauration du patrimoine bâti — 30 millions d’enveloppe additionnelle. Ça n’est pas anodin : ce sont les villes qui détiennent le pouvoir de « citer » un bâtiment, ce qui lui confère une protection quasi semblable à celle du « classement ». Mais encore faut-il pour user de ce pouvoir que les élus municipaux soient sensibilisés à la valeur patrimoniale des édifices érigés sur leurs terres. Disons-le franchement : des millions supplémentaires et une pluie de mesurettes ne viendront pas combler le déficit de culture qui préside à ce vaste fiasco nommé protection du patrimoine au Québec.
Au chapitre des pas dans la bonne direction, soulignons le fait que Nathalie Roy encourage le recours par les municipalités et les MRC à des agents de développement en patrimoine, dont le salaire sera financé à 50 % par le gouvernement, pour effectuer un inventaire du patrimoine bâti de leur territoire — pour éviter qu’on découvre des joyaux au moment où leurs murs s’effondrent sous les yeux des caméras ! Toutefois, dans le cercle vicieux qui emprisonne l’évolution de ce dossier culturel au Québec, l’embauche de ces acteurs-clés experts est laissée… à la discrétion des villes, dont les principales récriminations tiennent aux coûts imposants que sous-entendent la restauration et l’entretien des bâtiments précieux. Courtisées par des promoteurs immobiliers aux larges visées, les municipalités répondent mieux par les temps qui courent aux arguments de type fiscal qu’au chant de la valeur patrimoniale. Et valse la boule de démolition !
On espère un remaniement de la Loi promis par la ministre qui rééquilibrera le trop-plein de pouvoirs dévolus à des municipalités qui n’ont pas l’expertise pour bien en user. Sans cela, nous resterons soumis à un régime de sauvegarde de l’urgence, qui ne sert personne et qui n’atteint pas le plus petit objectif de sensibilisation collective à la richesse du patrimoine bâti.