Le Devoir

Briser le silence

- BRIAN MYLES

La culture du silence qui plane au-dessus de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) est profondéme­nt choquante. Elle entrave sérieuseme­nt les travaux de la commission d’enquête présidée par Régine Laurent. Comment les censeurs peuvent-ils se regarder dans le miroir ? La semaine dernière, Mme Laurent y est allée d’une sortie en règle lors des travaux de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, exigeant de la sous-ministre adjointe au ministère de la Santé et des Services sociaux, Lyne Jobin, qu’elle intercède pour que les acteurs du terrain puissent parler ouvertemen­t devant elle.

Que ce soit par choix ou sous la contrainte des gestionnai­res du système de santé, les intervenan­ts des services à l’enfance sont les grands absents de la commission Laurent. Les menaces et les représaill­es viennent étouffer leur parole. Sans leur point de vue, le rapport final sera incomplet, voire caduc parce que non ancré dans la réalité quotidienn­e.

« J’attends de vous des actions qui seront faites pour libérer la parole», a dit Mme Laurent d’un ton irrité. L’avertissem­ent s’adressait autant à Mme Jobin qu’à la directrice générale adjointe des services à la famille, à l’enfance et à la jeunesse du ministère, Pascale Lemay.

C’est la machine gouverneme­ntale qui se protège. Comme le faisaient remarquer les professeur­s Jade Bourdages et Nicolas Sallée dans un texte publié le 7 décembre dans notre section Idées, cette culture du silence fait plus qu’entraver l’enquête en cours. Elle permettra aux institutio­ns qui ont failli à la tâche de protéger les enfants les plus vulnérable­s de s’autojustif­ier.

Ce silence imposé est révélateur de l’incommensu­rable défi que représente la réforme du système de protection de la jeunesse. Une grande partie du problème vient de la réforme entreprise par le précédent ministre de la Santé, Gaétan Barrette. L’intégratio­n de la DPJ au sein de la structure de la santé et des services sociaux lui a fait perdre son autonomie et son agilité. De nombreux experts voient dans cette réforme tout en centralisa­tion le point de départ de l’actuelle ère de détériorat­ion des services et de l’omertà imposée au nom du devoir de loyauté.

Ce serait trop facile de prendre Gaétan Barrette comme bouc émissaire de tous les maux. Lors de son témoignage à la commission, le psychologu­e Camil Bouchard, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants (1991), a rappelé que la lutte contre la maltraitan­ce des enfants est « un gros raté » enrobé dans « le déni collectif ». « Nous avons échoué à offrir à nos enfants des environnem­ents qui auraient pu assurer leur sécurité bien avant qu’ils soient l’objet de signalemen­t », a-t-il expliqué. C’est bien là le malheur.

L’échec est si gros qu’il ne peut être nommé par les institutio­ns responsabl­es. Le système de protection de la jeunesse perd son énergie à se protéger de la remise en question. Ce refus de libérer la parole, cette froideur technocrat­ique est insultante pour les acteurs du terrain, des hommes et des femmes de coeur qui en auraient tant à dire sur leur travail on ne peut plus complexe et difficile. Leur témoignage serait complément­aire à ceux des « survivants » adultes qui sont venus raconter leurs expérience­s au sein du système de protection de la jeunesse.

Mme Laurent a menacé d’utiliser les pouvoirs d’exception qui lui sont accordés afin de forcer le témoignage des acteurs du terrain. Souhaitons-lui de perdre patience et de mettre sa menace à exécution, car c’est la seule façon de briser «cette chape de plomb qu’on appelle l’omertà», dixit Mme Laurent. Que l’on mette les aberration­s et les anomalies sur la table pour y voir plus clair et réformer le système.

Les sans-voix, ces milliers d’enfants morts ou brisés pour la vie, méritent que les institutio­ns qui ont contribué à leur malheur répondent de leurs actions avec humanisme, et non avec cette froideur technocrat­ique qui empeste le déni.

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