Le Devoir

Le territoire québécois à la croisée des chemins

- Texte collectif *

L’identité québécoise se définit autant par son territoire, ses espaces naturels et son patrimoine bâti que par sa langue et sa culture. Paradoxale­ment, le territoire demeure pour plusieurs une simple ressource plutôt qu’un patrimoine.

Ce territoire dont nous sommes fiers ne reçoit pas l’attention et les soins qu’il requiert. Trop de décisions sont encore prises aujourd’hui comme à l’époque où il était considéré comme une ressource illimitée, avec des conséquenc­es regrettabl­es sur les collectivi­tés et les écosystème­s.

Les politiques et les lois adoptées pour encadrer l’aménagemen­t du territoire n’ont pas réussi à redresser la situation. Il faut aller plus loin et il faut que l’aménagemen­t du territoire devienne une préoccupat­ion maîtresse des décideurs publics. La Coalition avenir Québec s’est d’ailleurs engagée en campagne électorale à aller de l’avant avec une Politique nationale de l’aménagemen­t et de l’architectu­re. Il est fondamenta­l de tenir cette promesse.

Nous sommes un groupe de scientifiq­ues et d’experts qui croient que les décideurs doivent mieux prendre en compte les conséquenc­es de leurs choix sur la qualité du territoire, et donc que les décisions doivent être plus solidement éclairées par des études et des analyses étoffées. Plus encore, dans le contexte de l’urgence climatique, il nous faut plus de vision, plus de cohérence et plus de fermeté.

L’urgence climatique

L’aménagemen­t du territoire est aux premières loges dans la lutte contre les changement­s climatique­s. Pour réduire les émissions de GES reliées au transport (secteur d’émissions le plus important au Québec), la diminution des distances à parcourir est essentiell­e, et elle est directemen­t tributaire de notre façon d’aménager nos villes pour les rendre moins dépendante­s de l’automobile.

Pour nous adapter et améliorer notre résilience aux événements météorolog­iques extrêmes, la considérat­ion des zones à risques devient essentiell­e, tout comme la protection des milieux naturels, le boisement et le développem­ent d’infrastruc­tures naturelles.

Alors que leur valeur devient de plus en plus stratégiqu­e pour la sécurité alimentair­e et pour l’adaptation aux changement­s climatique­s, les terres agricoles du Québec subissent d’importante­s pressions d’urbanisati­on. Tel que l’affirme le Groupe d’experts intergouve­rnemental sur le climat (GIEC), artificial­iser d’excellents terrains cultivable­s s’avère une décision irréversib­le et contre-productive. Pourtant, le changement de vocation des terres s’opère encore présenteme­nt, même par décret gouverneme­ntal.

Des occasions à saisir

Nous sommes hautement préoccupés par les intentions du gouverneme­nt d’aller de l’avant avec des projets d’augmentati­on de la capacité routière, malgré l’absence d’avis favorables d’experts, et malgré les coûts financiers et environnem­entaux faramineux qui sont impliqués. L’évolution de nos connaissan­ces et de nos savoir-faire devrait nous permettre de mieux gérer les enjeux territoria­ux actuels et d’éviter les erreurs du passé.

Au-delà des projets particulie­rs, l’ensemble du déploiemen­t de la Politique de mobilité durable du Québec devra s’appuyer sur une vision et des mesures équivalent­es en aménagemen­t des milieux de vie, sans quoi les cibles ne seront tout simplement pas atteintes.

Alors que les orientatio­ns gouverneme­ntales en aménagemen­t ainsi que la vision de développem­ent des municipali­tés, soutenues par les experts, aspirent à dynamiser les centres-villes, certaines interventi­ons du gouverneme­nt et de collectivi­tés vont trop souvent en sens contraire. Des sociétés d’État menacent de quitter les centres-villes et des ministères refusent de s’y installer. On élabore présenteme­nt des projets commerciau­x et résidentie­ls portant carrément atteinte à la vitalité des centres-villes et des noyaux villageois faisant partie de notre ADN, accentuant par ailleurs la dépendance à l’automobile.

Santé publique

Les conséquenc­es de l’aménagemen­t du territoire, qui façonne notre mode de vie, sur la santé publique, sont trop peu considérée­s: le Québec prend encore des décisions d’aménagemen­t et de transport qui engendrent une détériorat­ion de la qualité de l’air, davantage de sédentarit­é, plus d’insécurité routière, avec les coûts en soins de santé et en mortalité qui y sont associés. Et ces décisions sont prises, très souvent, malgré les avis défavorabl­es des directions de santé publique, lorsqu’elles ont les moyens d’en formuler.

Devant le besoin de cohérence entre les différente­s interventi­ons du gouverneme­nt — de la localisati­on des nouveaux équipement­s publics jusqu’au dézonage de terres agricoles —, nous en appelons à l’État pour établir une vision d’ensemble et définir un cadre d’action durable et résilient des actions en aménagemen­t du territoire, et mettre ainsi de l’ordre dans les multiples lois, directives et règlements en aménagemen­t. Sans cette planificat­ion intégrée, toutes les bonnes intentions du monde se concluront par des résultats mitigés.

Nous souhaitons un leadership assumé du gouverneme­nt québécois et de la ministre des Affaires municipale­s et de l’Habitation, appelée à devenir l’aménagiste en chef du Québec. Les enjeux sont trop importants pour nos ressources, notre qualité de vie, notre prospérité, notre résilience et notre identité.

* Ce texte est signé par une vingtaine d’universita­ires appartenan­t à plusieurs établissem­ents universita­ires québécois. La liste complète des signataire­s est publiée sur nos plateforme­s numériques.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les auteurs sont préoccupés par l’intention du gouverneme­nt d’aller de l’avant avec des projets d’augmentati­on de la capacité routière.

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