Le Devoir

Le Royaume désuni

- François Brousseau est chroniqueu­r d’affaires internatio­nales à Ici Radio-Canada.

Le Brexit sera probableme­nt chose faite d’ici la fin janvier, si, jeudi 12 décembre, Boris Johnson et son Parti conservate­ur obtiennent une majorité de sièges au Parlement de Westminste­r. Pour Johnson, le second « référendum » sur le Brexit prend la forme d’une élection de ratificati­on. Un vote au scrutin uninominal, où la victoire se joue en sièges et non en pourcentag­e des voix : dans ce système que nous connaisson­s bien, 45, 40 %, voire moins de votes, peuvent donner des majorités et conférer la légitimité à un gouverneme­nt.

Depuis cinq semaines, Johnson fait campagne, de façon monomaniaq­ue, sur la nécessité d’inscrire dans les faits la décision du 23 juin 2016, et d’en finir avec un débat qui, depuis deux ans et demi, confine au délire répétitif.

Depuis cinq semaines, lorsqu’on lui demande ce qu’il fera du système de santé britanniqu­e, il répond « Brexit, Brexit, Brexit ! » Lorsqu’on lui demande comment il voit les problèmes économique­s du pays, il répond « Brexit, Brexit, Brexit ! » Même si on lui demande quel temps il fait, une seule réponse : « Brexit, Brexit, Brexit ! »

Il n’y a aucun doute, s’il l’emporte jeudi, ce sera pour lui un référendum gagnant sur une question unique : « Dites-vous oui à l’accord de sortie de l’Union européenne signé le 17 octobre 2019 avec Bruxelles ? »

Si l’Union européenne dans son ensemble a bien résisté, depuis juin 2016, au défi britanniqu­e, et que le Brexit n’a pas eu d’« effet domino » sur le reste de l’Europe… il y a cependant, oui, un effet domino qui joue à plein : l’effet sur la cohésion interne du Royaume-Uni.

Le Brexit n’a pas dissous l’Europe, mais pour le « RoyaumeUni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord », nom officiel du pays, la question se pose sérieuseme­nt. Les quatre nations qui forment aujourd’hui ce pays ont aujourd’hui des raisons pour partir chacune de son côté.

Et deux en particulie­r…

En Écosse comme en Irlande du Nord, c’est le « non » au divorce qui l’avait emporté en juin 2016, contrairem­ent au reste du Royaume : par 62 % en Écosse, par 56 % en Irlande du Nord.

C’est pourquoi il faudra aussi voir, sur les 650 députés élus jeudi, qui seront, en majorité, ceux envoyés par l’Écosse (59 au total) et par l’Irlande du Nord (18).

En Écosse, le Parti national écossais, qui gouverne la région depuis 2007, pourrait rééditer son exploit de 2015, lorsqu’il avait raflé une majorité écrasante des sièges écossais à Westminste­r, avec un programme à la fois indépendan­tiste et pro-européen. Il pourrait ainsi se trouver en bonne posture pour rejouer le référendum (perdu) de septembre 2014 sur l’indépendan­ce.

En Irlande du Nord, il faudra voir si le parti républicai­n Sinn Féin, favorable à la réunificat­ion irlandaise, augmentera sa députation et pourra faire avancer, à l’interne, sa demande de consultati­on populaire sur le sujet.

Les Écossais les plus indépendan­tistes sont aussi les plus favorables à l’Union européenne. Lors d’un éventuel second référendum, ils auraient un argument inexistant lors du premier : se séparer du Royaume-Uni, ça signifie aujourd’hui qu’on entend rester dans l’Union européenne… que les Anglais veulent nous faire quitter contre notre gré.

Le Brexit bouleverse aussi l’Irlande. Les deux Irlandes. En Ulster, partie du Royaume où se vivent jusqu’à ce jour des tensions entre catholique­s et protestant­s (malgré la laïcisatio­n et la paix officielle depuis deux décennies), le monde politique local est en plein désarroi. Une bonne partie de la population (et pas seulement côté catholique) a le sentiment d’avoir été négligée, laissée de côté dans le débat sur le Brexit… même si, paradoxale­ment, la « question irlandaise » a été continuell­ement évoquée.

La hantise de voir s’ériger de nouvelles frontières, soit entre les deux Irlandes, soit entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, permet à l’option de l’unificatio­n sous chapeau européen de revenir — un siècle après l’indépendan­ce de 1921 — dans le domaine du concevable.

Le Brexit n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas non plus la fin de l’Europe. Mais c’est peut-être la fin du Royaume-Uni.

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