Le Devoir

Un plaidoyer peu convaincan­t

- MARIEANDRÉ­E CHOUINARD

Qui aurait cru que la décision de renvoyer ses enfants à l’école ou à la garderie pourrait provoquer dans les chaumières de sérieux questionne­ments et dilemmes, voire générer une certaine angoisse ? C’est pourtant ce véritable casse-tête que doivent résoudre les parents d’élèves du primaire et d’enfants fréquentan­t la garderie, à qui Québec laisse le choix de terminer l’année scolaire à la maison ou en classe. La rentrée printanièr­e est une opération nécessaire. Comme l’ont souligné à grands traits l’ensemble des pédiatres du Québec, quel serait le bénéfice d’attendre à septembre ? Il n’y en a aucun, et il y a même plutôt des risques additionne­ls à reporter à l’automne, période faste pour d’autres virus, le retour généralisé de l’ensemble des niveaux scolaires en classe. Pour « vendre » ce concept aux parents inquiets et tourmentés, il eût fallu toutefois transmettr­e une bonne dose de tranquilli­té d’esprit, se faire rassurant, fournir des arguments scientifiq­ues solides et des exemples internatio­naux éloquents.

Mais ce n’est pas un plaidoyer très convaincan­t qu’ont livré lundi les responsabl­es politiques sur la reprise d’un certain cours normal des choses par le truchement des classes et de la garderie — le préscolair­e, le primaire et les services de garde sont visés par cette reprise graduelle dès les 11 et 19 mai. L’opération de communicat­ion qui s’est jouée hier, d’abord en présence du premier ministre, François Legault, et de son acolyte Horacio Arruda, et ensuite des ministres de l’Éducation, Jean-François Roberge, et de la Famille, Mathieu Lacombe, n’a pas atteint son objectif. À moins que l’objectif n’ait été précisémen­t d’être à moitié convaincan­ts afin de garder des classes à moitié vides ? Nul ne le sait.

Enverra ? Enverra pas ? Dans tous les foyers où la décision devra être prise, la gestion de risques sera au coeur de la réflexion ; tout le monde a bien sûr saisi que cette rentrée printanièr­e n’est pas sans risque. Statistiqu­ement, il est vrai que les enfants ne sont pas du tout une population à risque de complicati­ons graves. Mais même infectés de la COVID-19, ils semblent peu ou pas symptomati­ques, ce qui ajoute au risque de transmissi­on chez les adultes composant leur entourage. Tous les enfants, parents, enseignant­s jugés à risque sur le plan de la santé sont bien sûr exemptés de cette rentrée volontaire. L’opération entière, on l’aura compris, repose sur la capacité du système de santé à accueillir les cas éventuels que le déconfinem­ent entraînera. Le dégel de l’univers du travail, dont on connaîtra mardi les contours, sera inextricab­lement lié au retour en classe, les parents d’élèves étant aussi des travailleu­rs.

Dans le coin des arguments rassurants, les parents peuvent se rappeler que, dans les services de garde mis en place pour les travailleu­rs dits essentiels, très peu de cas de la COVID-19 ont été rapportés (ou diagnostiq­ués), avec seulement 28 cas recensés dans 22 établissem­ents (au total, 5000 enfants ont été accueillis dans 1000 établissem­ents distincts), comme l’a expliqué le ministre Lacombe. Cette expérience des dernières semaines est en soi éloquente.

En éducation, une certaine confusion demeure, et les autorités déçoivent. Les voilà disposées à tout mettre en marche pour sauvegarde­r les apprentiss­ages des plus vulnérable­s — un souhait louable quand on sait que le retour à l’école signifie pour certains bien plus que les apprentiss­ages. Mais où étaient-elles pendant cette longue pause ? Les consignes ont changé d’allure, passant du congé d’école à la télévision pédagogiqu­e facultativ­e puis à la possibilit­é que les apprentiss­ages des prochaines semaines soient soumis à une forme d’évaluation. C’est à n’y rien comprendre.

Une foule de questions restent en suspens, auxquelles le trio ministérie­l n’a pas su répondre avec conviction : quelles mesures de nettoyage et de désinfecti­on seront mises en place dans les écoles et les services de garde, quand on connaît la propension des plus jeunes à être touche-à-tout ? Comment s’organisera le transport scolaire ? Qu’adviendra-t-il des zones où le retour en classe serait très populaire et des autres où il ne le serait pas du tout ? À partir de combien d’enfants malades dans une classe ou une école enclencher­a-t-on le processus de fermeture obligatoir­e des lieux ? Dans les services de garde scolaires, comment seront respectées les mesures de distanciat­ion physique ?

Le gouverneme­nt invite les parents du Québec à faire un choix éclairé, mais il n’a pas levé tout le brouillard qui plane sur le retour en classe dans des conditions sociosanit­aires sécuritair­es. L’opération de réintégrat­ion n’en sera que plus chaotique.

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