Le Devoir

Mourir dans la dignité, au moment voulu

- Marc Simard Historien

« Mourir, cela n’est rien, mais vieillir, oh vieillir ! », chantait Jacques Brel, qui se savait alors atteint du cancer et dont les moments étaient comptés. La crise que vivent les établissem­ents d’hébergemen­t pour aînés en cette période de pandémie et l’augmentati­on du placement de ceux-ci en résidence depuis une trentaine d’années ont transformé ce vers en sinistre prophétie, au Québec en particulie­r (20 % d’aînés placés).

La société occidental­e, et le Québec en particulie­r, observe avec horreur et un sentiment affolant d’impuissanc­e l’hécatombe qui se produit actuelleme­nt dans ce qu’on appelait autrefois les hospices. Pourtant, nous savions tous que ces établissem­ents avaient été conçus pour être des mouroirs et que l’espérance de vie n’y dépassait guère les 18 mois. Pourtant, nous étions tous au courant que nos vieux s’y fanaient, le plus souvent seuls, leur univers se réduisant graduellem­ent « du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil, et puis du lit au lit » (Les vieux). Mais assister à distance à leur mort indigne, quand ils sont affamés, déshydraté­s, apeurés, baignant dans leurs excréments, nous a tétanisés.

Cette tragédie amènera probableme­nt de grands changement­s dans la façon dont nous traiterons le vieillisse­ment et dont nous nous occuperons des aînés dans les années à venir. Mais elle doit aussi ramener à l’avant-scène la question de l’aide médicale à mourir, qui est actuelleme­nt sur « pause » en plus d’être empêtrée dans des chinoiseri­es.

La première version législativ­e de l’aide médicale à mourir a été déclarée inopérante par les tribunaux à cause de la clause voulant que la mort du requérant soit « raisonnabl­ement prévisible ». Mais cette clause n’est pas la seule à être abusive. Le requérant doit aussi « endurer continuell­ement de grandes souffrance­s physiques ou psychologi­ques qui sont intolérabl­es », en plus de s’astreindre à une foule de conditions, dont : demander un formulaire à un profession­nel de la santé ; le remplir, puis le signer et le dater en présence d’un profession­nel de la santé, qui doit le signer en plus de deux témoins ; et « maintenir son désir d’obtenir l’aide médicale à mourir à chaque nouvelle rencontre avec son médecin traitant ou avec un autre profession­nel de la santé ». Sans compter qu’« il doit s’écouler un délai de 10 jours entre la demande d’aide médicale à mourir et le moment où elle est administré­e ».

La plupart de ces conditions byzantines et restrictiv­es ont été imposées par des Parlements qui voulaient ainsi ménager la susceptibi­lité des croyants pour lesquels la vie est « sacrée » et pour lesquels l’euthanasie est un meurtre. À la lumière de ce qui se passe actuelleme­nt dans les mouroirs pour aînés, il est clair que ce type de législatio­n frileuse doit être remplacé par le droit d’obtenir une assistance à mourir sur demande écrite, assortie de simples vérificati­ons sur la santé mentale du demandeur, quelle que soit sa condition. Il faut aussi permettre à ceux qui ont des diagnostic­s de démence ou d’Alzheimer d’exiger cette assistance à l’avance pour le moment où ils ne seront plus conscients. Parce que la vie humaine n’appartient à personne d’autre qu’à l’individu qui en est doté, et pas à une entité chimérique ni aux autorités politiques et sociales.

Ne pensez-vous pas que plusieurs aînés (sauf les croyants fervents) qui agonisent actuelleme­nt dans l’ignominie auraient fait une telle demande s’ils avaient su ce qui les attendait ? Pour ma part, je refuse absolument de vieillir dans une prison, même dorée (cf. les futures « maisons des aînés »), et je ferai tout ce qu’il me sera possible de faire, le moment venu, pour éviter de croupir dans une couche souillée et sous la dépendance d’un personnel insuffisan­t en nombre et épuisé. Je ne veux pas non plus attendre pour mourir d’avoir « enduré continuell­ement de grandes et intolérabl­es souffrance­s physiques et psychologi­ques ». Si je peux passer outre cette clause sado-masochiste, je le ferai avec joie !

Il est temps que la mort s’affranchis­se des animismes et que les croyants laissent les autres vivre et mourir comme ils l’entendent. Le fait d’avoir des amis imaginaire­s et de croire en un dieu personnel et omniscient n’autorise pas les chrétiens à maintenir ceux qui n’adhèrent pas à leur credo sous leur coupe.

Je préfère encore le romantisme de Barbara :

« À mourir pour mourir, je choisis l’âge tendre

Et partir pour partir, je ne veux pas attendre. »

Newspapers in French

Newspapers from Canada