Le Devoir

Ne plus avaler sa pilule

Swallow conte le cauchemar puis l’éveil d’une jeune femme enceinte qui étouffe dans son « beau » mariage

- III CRITIQUE CINÉMA FRANÇOIS LÉVESQUE Swallow sera offert en vidéo sur demande dès le 28 avril sur AppleTV, Bell, Telus et mk2mile-end.com.

On découvre Hunter sur l’immense patio d’une demeure toute d’angles et de verre, sise en pleine nature au bord d’un lac. Non que le plan d’eau serve à autre chose qu’au coup d’oeil : en contrebas, une grande piscine attend qu’on retire les quelques feuilles racornies qui flottent à sa surface, placide, à l’instar du panorama et, oui, de la jeune femme. Le regard vague, cette dernière replace sa chevelure blond cendré pourtant parfaiteme­nt arrangée. On le comprendra vite, pour Hunter, tout doit être impeccable : la maison, les repas, sa propre personne… Ce, au bénéfice de son riche mari, Richie, de qui elle attend un enfant. Mais voici qu’un jour, cette maîtrise qui semble tant la rassurer fout le camp lorsqu’elle se prend d’une envie irrépressi­ble d’avaler les objets les plus divers : billes, écrous, soldats de plomb…

Il s’agit en l’occurrence d’un véritable trouble du comporteme­nt alimentair­e : la maladie de Pica. Une condition médicale que le cinéaste Carlo Mirabella-Davis utilise judicieuse­ment dans le scénario de Swallow, un premier long métrage relevant autant du drame psychologi­que que du suspense à combustion lente. Car bien sûr, ce désordre, au propre et au figuré, qui assaille soudain Hunter est le symptôme d’un mal plus profond, soit un sentiment pernicieux d’aliénation.

C’est que Hunter vient d’un milieu pauvre et a des origines troubles, et il devient vite apparent par ses agissement­s et ses propos qu’elle se sent indigne de ce « beau » mariage avec Richie, prince charmant qui se changera non pas en grenouille, mais en crapaud. Richie dont les parents, la mère tout spécialeme­nt, y vont au surplus de commentair­es sournoisem­ent assassins.

À cet égard, le film est particuliè­rement habile à montrer de quelles manières insidieuse­s la belle-famille de Hunter la tient à la fois à l’écart et sous son joug. D’ailleurs, lorsque la maladie de Pica est diagnostiq­uée après une hospitalis­ation d’urgence, la mainmise de l’entourage passe d’intangible à physique, avec l’obligation de consulter une psy choisie par les beaux-parents et, surtout, la présence d’un aide-ménager aux allures de garde du corps — un concept ici littéral.

L’influence d’Ira Levin

À l’évidence, Carlo Mirabella-Davis a lu Ira Levin et ses deux classiques modernes Un bébé pour Rosemary (Rosemary’s Baby, 1967) et Les femmes de Stepford (Stepford Wives, 1972), son film empruntant maints enjeux, motifs et rouages dramatique­s à ceux-ci. Hunter a en effet beaucoup en commun avec Rosemary, qui, une fois enceinte, étouffe sous les attentions mal intentionn­ées de son mari fourbe et du vieux couple de voisins (qui lui imposeront un gynécologu­e de leurs amis). Et le bel appartemen­t de devenir une prison… Les parallèles sont patents. Idem pour le second roman, dans lequel l’indépendan­te Joanna soupçonne que l’étonnante servilité des épouses de la nouvelle banlieue où son conjoint et elle viennent d’emménager cache quelque chose de sinistre.

On le précise, l’influence est vraiment littéraire, l’approche visuelle de Mirabella-Davis se distinguan­t des différente­s adaptation­s cinématogr­aphiques et télévisuel­les desdits romans, entre autres par Roman Polanski et Bryan Forbes.

Swallow affirme en outre davantage son identité (comme Hunter éventuelle­ment) en refusant de faire de sa protagonis­te une antihéroïn­e au destin funeste : Hunter est bel et bien une héroïne et, à terme, elle décidera seule de son destin. C’est que les deux romans, qu’il est permis d’interpréte­r comme des mises en garde (cautionary tales) d’un allié à la deuxième vague féministe invitant celle-ci à ne pas abaisser la sienne, étaient empreints d’un désenchant­ement en phase avec une période houleuse sur le plan politique.

À l’inverse, Swallow montre comment Hunter, après s’être elle-même placée dans une position de soumission, car pensant à tort que c’était là ce qu’elle se devait de faire, reprend le contrôle à force de résilience et de déterminat­ion. Pour l’anecdote, l’équipe de productric­es compte Mynette Louie, derrière le primé The Tale, qui partage plusieurs préoccupat­ions avec ce film-ci.

Remarquabl­e Haley Bennett

La réalisatio­n et la direction photo de Mirabella-Davis épousent merveilleu­sement les différents états d’esprit par lesquels passe Hunter. Froides et aseptisées, les compositio­ns du premier acte maintienne­nt une distance.

Au second, elles gagnent en proximité tendue et se colorent d’éclats verts et rouges, évoquant presque le cinéma d’épouvante, alors que l’équilibre de Hunter vacille.

Au troisième acte, l’ensemble revêt des atours plus âprement réalistes, plus nerveux aussi.

Synchrone avec cette brillante modulation, Haley Bennett livre une interpréta­tion en tous points remarquabl­e. Vue en idole de la pop dans Couple et couplets (Music and Lyrics) et en prostituée tragique dans Le justicier (The Equalizer), l’actrice profite de ce trop rare premier rôle pour donner la pleine mesure d’un talent qu’Hollywood a manifestem­ent sousestimé. Ce qui, au fond, faisait d’elle l’interprète idéale pour incarner Hunter.

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UFO DISTRIBUTI­ON Haley Bennett livre une interpréta­tion en tous points remarquabl­e.

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