Ne plus avaler sa pilule
Swallow conte le cauchemar puis l’éveil d’une jeune femme enceinte qui étouffe dans son « beau » mariage
On découvre Hunter sur l’immense patio d’une demeure toute d’angles et de verre, sise en pleine nature au bord d’un lac. Non que le plan d’eau serve à autre chose qu’au coup d’oeil : en contrebas, une grande piscine attend qu’on retire les quelques feuilles racornies qui flottent à sa surface, placide, à l’instar du panorama et, oui, de la jeune femme. Le regard vague, cette dernière replace sa chevelure blond cendré pourtant parfaitement arrangée. On le comprendra vite, pour Hunter, tout doit être impeccable : la maison, les repas, sa propre personne… Ce, au bénéfice de son riche mari, Richie, de qui elle attend un enfant. Mais voici qu’un jour, cette maîtrise qui semble tant la rassurer fout le camp lorsqu’elle se prend d’une envie irrépressible d’avaler les objets les plus divers : billes, écrous, soldats de plomb…
Il s’agit en l’occurrence d’un véritable trouble du comportement alimentaire : la maladie de Pica. Une condition médicale que le cinéaste Carlo Mirabella-Davis utilise judicieusement dans le scénario de Swallow, un premier long métrage relevant autant du drame psychologique que du suspense à combustion lente. Car bien sûr, ce désordre, au propre et au figuré, qui assaille soudain Hunter est le symptôme d’un mal plus profond, soit un sentiment pernicieux d’aliénation.
C’est que Hunter vient d’un milieu pauvre et a des origines troubles, et il devient vite apparent par ses agissements et ses propos qu’elle se sent indigne de ce « beau » mariage avec Richie, prince charmant qui se changera non pas en grenouille, mais en crapaud. Richie dont les parents, la mère tout spécialement, y vont au surplus de commentaires sournoisement assassins.
À cet égard, le film est particulièrement habile à montrer de quelles manières insidieuses la belle-famille de Hunter la tient à la fois à l’écart et sous son joug. D’ailleurs, lorsque la maladie de Pica est diagnostiquée après une hospitalisation d’urgence, la mainmise de l’entourage passe d’intangible à physique, avec l’obligation de consulter une psy choisie par les beaux-parents et, surtout, la présence d’un aide-ménager aux allures de garde du corps — un concept ici littéral.
L’influence d’Ira Levin
À l’évidence, Carlo Mirabella-Davis a lu Ira Levin et ses deux classiques modernes Un bébé pour Rosemary (Rosemary’s Baby, 1967) et Les femmes de Stepford (Stepford Wives, 1972), son film empruntant maints enjeux, motifs et rouages dramatiques à ceux-ci. Hunter a en effet beaucoup en commun avec Rosemary, qui, une fois enceinte, étouffe sous les attentions mal intentionnées de son mari fourbe et du vieux couple de voisins (qui lui imposeront un gynécologue de leurs amis). Et le bel appartement de devenir une prison… Les parallèles sont patents. Idem pour le second roman, dans lequel l’indépendante Joanna soupçonne que l’étonnante servilité des épouses de la nouvelle banlieue où son conjoint et elle viennent d’emménager cache quelque chose de sinistre.
On le précise, l’influence est vraiment littéraire, l’approche visuelle de Mirabella-Davis se distinguant des différentes adaptations cinématographiques et télévisuelles desdits romans, entre autres par Roman Polanski et Bryan Forbes.
Swallow affirme en outre davantage son identité (comme Hunter éventuellement) en refusant de faire de sa protagoniste une antihéroïne au destin funeste : Hunter est bel et bien une héroïne et, à terme, elle décidera seule de son destin. C’est que les deux romans, qu’il est permis d’interpréter comme des mises en garde (cautionary tales) d’un allié à la deuxième vague féministe invitant celle-ci à ne pas abaisser la sienne, étaient empreints d’un désenchantement en phase avec une période houleuse sur le plan politique.
À l’inverse, Swallow montre comment Hunter, après s’être elle-même placée dans une position de soumission, car pensant à tort que c’était là ce qu’elle se devait de faire, reprend le contrôle à force de résilience et de détermination. Pour l’anecdote, l’équipe de productrices compte Mynette Louie, derrière le primé The Tale, qui partage plusieurs préoccupations avec ce film-ci.
Remarquable Haley Bennett
La réalisation et la direction photo de Mirabella-Davis épousent merveilleusement les différents états d’esprit par lesquels passe Hunter. Froides et aseptisées, les compositions du premier acte maintiennent une distance.
Au second, elles gagnent en proximité tendue et se colorent d’éclats verts et rouges, évoquant presque le cinéma d’épouvante, alors que l’équilibre de Hunter vacille.
Au troisième acte, l’ensemble revêt des atours plus âprement réalistes, plus nerveux aussi.
Synchrone avec cette brillante modulation, Haley Bennett livre une interprétation en tous points remarquable. Vue en idole de la pop dans Couple et couplets (Music and Lyrics) et en prostituée tragique dans Le justicier (The Equalizer), l’actrice profite de ce trop rare premier rôle pour donner la pleine mesure d’un talent qu’Hollywood a manifestement sousestimé. Ce qui, au fond, faisait d’elle l’interprète idéale pour incarner Hunter.