Québec mise sur un taux de présence à l’école de 50 %
Si les écoles primaires reprennent les cours bientôt, les écoles secondaires, les cégeps et les universités resteront fermés jusqu’à la fin août
Le gouvernement Legault table sur la faible fréquentation des écoles primaires et des garderies pour assurer le succès de leur réouverture et permettre le respect — jusqu’à un certain point — des mesures de distanciation physique que commande l’épidémie de COVID-19.
En parallèle, des données d’un groupe de recherche en santé publique de l’Université Laval envoient un avertissement. Le groupe n’a pas étudié le scénario précis du retour à l’école envisagé par Québec, mais ses prévisions basées sur une hausse des contacts de 10 à 20 % dans la population laissent présager, dans le scénario le plus pessimiste, un « accroissement rapide des nouveaux cas et des nouveaux décès ».
Les ministres de l’Éducation et de la Famille, Jean-François Roberge et Mathieu Lacombe, ont confirmé lundi que les parents pourront envoyer leurs enfants à la garderie et à l’école primaire, sur une base volontaire, à partir des 11 et 19 mai — respectivement à l’extérieur et dans la communauté métropolitaine de Montréal. Les élus ont aussi annoncé que les écoles secondaires, les cégeps et les universités resteront fermés jusqu’à la fin août.
Le ministre Roberge a demandé aux parents qui souhaitent envoyer leurs enfants à l’école d’aviser celle-ci une semaine à l’avance, « pour qu’on puisse se préparer à offrir un service de qualité aux élèves ». Il a dit s’attendre lundi à ce qu’il n’y ait « pas plus de 50 % de présence » dans les écoles primaires. Il entend limiter le nombre d’élèves à 15 par classe, quitte à
en envoyer dans les locaux vides des écoles secondaires. Si des enseignants sont absents, Québec se tournera vers les étudiants en éducation. Et il n’entend pas leur fournir de masques.
« Avec un maximum [d’élèves par classe] aussi bas, ce n’est pas si difficile de faire respecter la distanciation de deux mètres », a jugé le ministre.
Larguant son discours assimilant la suspension des classes à des « vacances », M. Roberge a rappelé aux parents qu’ils avaient « l’obligation » de veiller à la fréquentation scolaire de leurs enfants, même à distance, par l’entremise d’outils pédagogiques et technologiques. « Un élève qui était vulnérable, qui avait des difficultés et qui s’alignait pour peut-être échouer son année pourrait la sauver » en utilisant les outils éducatifs fournis par le gouvernement, a-t-il illustré.
Québec espère aussi qu’un seul élève — et non pas deux — s’assoie sur chaque banc d’autobus. Les chauffeurs d’autobus, dont la moitié ont plus de 60 ans, seront protégés avec « un plexiglas ou quelque chose », a assuré le ministre de l’Éducation.
Le ministre Lacombe a quant à lui dit espérer que les services de garde opèrent avec « la moitié des ratios habituels », avec « un taux d’occupation global de 30 % ».
Québec demandera aux éducatrices de porter des masques. Or il sera « très difficile, pour ne pas dire impossible » de faire respecter les règles de distanciation en garderie, a reconnu M. Lacombe.
De nouvelles prédictions
Le Dr Richard Massé, directeur de santé publique, a dit s’attendre à ce que le taux de transmission de la COVID-19 avoisine les 5 à 10 % à Montréal après l’ouverture des écoles et des garderies. Ailleurs, ce sera « certainement en bas de 1 % », a-t-il ajouté, en précisant qu’il était « extrêmement difficile » de savoir combien de personnes allaient contracter le virus, « parce que les tout-petits, ils sont très peu symptomatiques ».
Des données d’un groupe de recherche de l’Université Laval mises en ligne par la santé publique permettent cependant d’en avoir un aperçu.
Dans un scénario jugé « optimiste », le nombre de décès quotidien frôlerait la vingtaine en août, après un assouplissement des règles, à la mi-mai, qui permettrait de rétablir 10 à 20 % des contacts.
Dans le scénario « pessimiste », le nombre de décès quotidien dépasserait la centaine dès le mois de juillet. À noter : les deux scénarios excluent les décès dans les CHSLD.
Le professeur du Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval Marc Brisson a travaillé à l’élaboration de ces modèles, qu’il invite à étudier avec prudence, puisqu’ils n’ont pas servi à étudier le cas précis de la réouverture des écoles.
Ses calculs sont néanmoins basés sur un scénario dans lequel « à peu près 50 % des garderies et écoles sont ouvertes ou un peu plus, avec une ouverture de certains secteurs de l’industrie », a expliqué le chercheur au Devoir. « Donc, ce n’est pas un scénario farfelu, c’est un scénario plausible. »
Une hausse de 10 à 15 % des contacts peut paraître minime, a-t-il ajouté. « Mais quand on est dans une situation épidémique fragile, [ça] peut faire toute la différence. »
Les prochaines semaines permettront de déterminer si le Québec se dirige vers un scénario optimiste ou pessimiste. D’emblée, « à l’extérieur de Montréal, les données suggèrent qu’on est plutôt dans une situation optimiste », a déclaré M. Brisson. « Dans la grande région de Montréal, on est entre les deux. »
Changement de discours
L’annonce du retour à l’école a coïncidé avec un changement de discours du premier ministre François Legault au sujet de l’immunité naturelle. Après avoir dit vouloir rouvrir les écoles dans ce but la semaine dernière, il a affirmé que ce n’était pas son objectif et que le concept n’était pas assez solide sur le plan scientifique.
« Ce n’est pas prouvé. Donc, on ne doit pas prendre notre décision sur cette base-là, mais ça sera un bénéfice secondaire, si jamais ça peut être le cas », a-t-il dit.
Quant au premier ministre du Canada, il a émis de sérieux doutes lundi sur le concept d’immunité. « Ce n’est pas certain encore que quelqu’un qui a eu le virus ne peut pas rattraper le virus quelques mois plus tard », a déclaré Justin Trudeau lors de son point de presse quotidien.
Il a invité les provinces à faire « très attention dans les étapes de réouverture de l’économie ». Autrement, « si on fait une erreur », le Canada risque une « énorme » deuxième vague qui serait « dévastatrice, non seulement pour notre économie, mais pour les citoyens qui auront tant sacrifié ces dernières semaines pour rien ».
Les prochaines semaines permettront de déterminer si le Québec se dirige vers un scénario optimiste ou pessimiste