Le Devoir

Des parents déchirés

L’annonce du retour en classe crée un malaise

- LISA-MARIE GERVAIS

Devant le plan de retour en classe du gouverneme­nt, bien des questions demeurent pour de nombreux parents qui se disent déchirés par le choix qu’ils auront à faire. Mais, quelle que soit leur décision, plusieurs disent éprouver un malaise face à cette décision « précipitée ».

« Donc, finalement, je ne sais pas encore ce que je fais. J’ai l’impression de changer d’idée 4-5 fois par jour en fonction de ce que je lis, selon si c’est le rationnel qui prend le dessus ou les émotions », résume Sandrine Philippe à la fin de son entrevue avec Le Devoir.

Cette mère de famille montréalai­se, qui a deux enfants au primaire et travaille à la Commission scolaire de Montréal comme éducatrice spécialisé­e auprès d’enfants ayant des handicaps, ne sait pas sur quel pied danser. « J’ai l’impression qu’on n’est pas prêts en tant que société. On nous dit que les hôpitaux ne doivent pas être débordés et on sait qu’il manque de masques et d’équipement­s. D’un autre côté, je travaille avec des enfants autistes qui sont sûrement en difficulté majeure et ça aussi, ça m’affecte. D’une certaine façon, ils ont plus besoin de retourner à l’école que mes enfants. » Elle souligne au passage ce qu’elle considère comme une autre contradict­ion du message gouverneme­ntal, qui préoccupe bien des parents : « Ces enfants-là, c’est sûr qu’ils ne seront pas à deux mètres de moi ! »

Selon Louis-Paul Willis, un père de Rouyn-Noranda qui est aussi président du conseil d’établissem­ent d’une école primaire, on ne détient pas assez d’informatio­ns en tant que société. « On est aux prises avec une pandémie d’un virus dont on ne sait pas grand-chose et la connaissan­ce scientifiq­ue évolue presque quotidienn­ement. Personnell­ement, je suis un peu embêté. Je sens qu’il y a une certaine hâte, et que c’est précipité de mettre fin au confinemen­t. »

Déstabilis­ée par l’annonce du retour à l’école, Marie-Pier Savard dit vivre beaucoup d’inquiétude et d’incompréhe­nsion, surtout. « Pourquoi ne pas commencer par ouvrir les parcs, permettre aux familles de se voir de plus près un peu plus ? Pourquoi se dépêcher de mettre des enfants dans les écoles au lieu de déconfiner de petits endroits et permettre tranquille­ment une contaminat­ion dans le quotidien, sans que les écoles ouvrent ? » demande cette mère de deux garçons d’âge primaire.

Des décisions au cas par cas

Mon employeur me permettra-t-il le télétravai­l si je n’envoie pas mes enfants à l’école ? Comment tiendronsn­ous les élèves à moins de deux mètres les uns des autres ? Mon enfant

sera-t-il testé régulièrem­ent ? Dans les commentair­es au bas des articles en ligne et sur les groupes Facebook et autres réseaux sociaux, les questions des parents n’en finissaien­t plus de s’accumuler lundi, au terme des points de presse du gouverneme­nt.

Pour la journalist­e Maude Goyer, qui est aussi l’autrice du blogue sur la famille Maman 24/7, bien des questions demeurent. Et les décisions des parents se prendront « au cas par cas ».

« C’est très difficile d’avoir une vision globale parce que chaque situation familiale est différente. La décision que le parent va prendre va être en fonction de sa réalité économique, de l’âge de ses enfants et de leurs difficulté­s à l’école, de son emploi, de sa santé mentale… »

Elle conseille aux parents de ne pas culpabilis­er et de se faire confiance. « On se demande tous si on retourne ou pas nos enfants à l’école, mais je pense qu’il faut rester flexible et ouvert et voir comment les choses vont évoluer. La décision qu’on va prendre va être un mélange d’informatio­ns et d’instinct. C’est la base de la parentalit­é. »

La situation en région n’est pas la même qu’en ville. « Tout ce qui est transport scolaire, pour les parents qui sont craintifs, je ne sais pas comment on va gérer ça », souligne Émilie Auclair, une mère de famille de l’Abitibi qui fait sa maîtrise en administra­tion scolaire.

Dans la région où elle vit, les distances à parcourir pour aller à l’école sont grandes, rappelle-t-elle. En même temps, elle ne croit pas à l’enseigneme­nt à distance, surtout dans une région où « un nombre considérab­le de familles n’ont pas accès à Internet ».

S’il comprend le caractère « facultatif » du retour en classe, Louis-Paul Willis croit néanmoins qu’il aura pour effet de perpétuer les inégalités. « Notre exposition au risque sera asymétriqu­e, articulée en fonction du privilège de pouvoir travailler à la maison ou pas. »

Et les employeurs ne prendront pas nécessaire­ment en compte le fait que la mesure est facultativ­e, déplore Sandrine Philippe.

Notre exposition au risque sera asymétriqu­e, articulée en fonction du privilège de pouvoir travailler à » la maison ou pas LOUIS-PAUL WILLIS

« À partir du moment où les écoles et les garderies seront ouvertes, on va demander de plus en plus aux employés d’être présents. »

Pour le bien des enfants

Émilie Auclair est toutefois décidée à envoyer ses enfants à l’école. « Je suis plutôt proche du discours des pédiatres qui disent qu’il faut penser au bienêtre de l’enfant », dit-elle.

Jean-Philippe Leblanc, un enseignant au secondaire de Sainte-Adèle, partage cet avis. Il se réjouit de voir que le gouverneme­nt ne justifie plus le retour à l’école en se basant sur l’argument de l’immunité collective et qu’il mette davantage de l’avant le bien-être de l’enfant. « Ce changement de discours me plaît parce que l’autre ne faisait pas de sens. C’était trop facile de dire “contaminon­s les enfants parce que ce n’est pas grave”. Ce n’était pas ça le discours officiel, mais plusieurs pouvaient penser ça. »

Malgré tout, il juge difficile d’avoir une opinion tranchée dans le contexte. Son garçon de troisième année sera certes « très heureux » de retourner en classe. « Mais, comme parent, c’est sûr qu’on va avoir certaines inquiétude­s. Il va falloir lui parler pour lui faire un rappel de tout ce qu’on lui répète de faire par rapport à la distance et à l’hygiène. »

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Maude Goyer, journalist­e et blogueuse, avec ses deux enfants, qui retournero­nt bientôt à l'école

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