Le Devoir

Repenser le travail de l’après-crise

- Sébastien Parent Chargé de cours en droit du travail (Polytechni­que Montréal) et chercheur doctoral (CRIMT — Faculté de droit de l’Université de Montréal)

On aura beau explorer à fond les droits et recours mis à dispositio­n par la législatio­n du travail, il n’y a presque rien qui peut protéger convenable­ment les salariés contre les répercussi­ons financière­s du coronaviru­s

Sous ordre de confinemen­t, le quotidien des gens est bouleversé devant cette trame qu’on aimerait encore croire surréelle, mais que l’on sait non moins tragique.

Pour faire face aux conséquenc­es socio-économique­s que provoque la pandémie de COVID-19, un droit social fort s’impose. Même s’il s’inscrit au sein de cette branche, le droit du travail apparaît toutefois désarmé.

À tout le moins, l’utilité des protection­s légales qu’il comprend est fortement relativisé­e par la crise que nous traversons, ce qui place à l’avant-scène la question de son interface avec le second volet du droit social, soit celui de la sécurité sociale.

À la suite des mesures sanitaires annoncées par le gouverneme­nt, les entreprise­s offrant des services jugés non essentiels ont dû cesser temporaire­ment leurs activités. Pour beaucoup de travailleu­rs, l’annonce d’une mise à pied les attendait fatalement.

On aura beau explorer à fond les droits et recours mis à dispositio­n par la législatio­n du travail, il n’y a pratiqueme­nt rien qui peut protéger convenable­ment les salariés contre les répercussi­ons financière­s du coronaviru­s. Seules les indemnités en cas de mises à pied subites auraient pu s’appliquer, mais elles font l’objet d’une exception en cas de force majeure, ce à quoi correspond sans doute une pandémie mondiale.

Étant donné que le champ d’applicatio­n des lois du travail suppose une prestation de travail active, les protection­s qu’elles confèrent s’estompent lorsque les membres de la classe laborieuse ont massivemen­t perdu leur emploi. Nous avons, dès lors, assisté à un retour marqué de l’État-providence pour secourir les travailleu­rs touchés, notamment par la mise en place de prestation­s d’urgence individuel­les, de subvention­s salariales aux entreprise­s et d’un programme de développem­ent des compétence­s de la main-d’oeuvre.

Sous le choc de la présente catastroph­e, l’absence d’opposants à ces mesures de sécurité sociale d’envergure surprend peu. Pourtant, les programmes sociaux n’ont cessé d’accumuler des coupes sévères au fil des dernières décennies, sans trop soulever de contestati­ons. Le droit de la sécurité sociale qui est aujourd’hui enrichi par les gouverneme­nts est resté fidèle à son objet, à la différence que l’urgence de la situation démontre avec éloquence sa nécessité dans notre société, surtout lorsqu’une masse importante de la population en a besoin en même temps.

En réponse aux divers maux qui affligent le droit du travail contempora­in, plusieurs chercheurs insistent justement sur l’instaurati­on de mesures de protection sociale afin de tisser un filet de sécurité solide, qui engloberai­t également les travailleu­rs en marge du salariat. Le développem­ent de l’employabil­ité et l’instaurati­on d’un revenu universel de base constituen­t quelques pistes à explorer.

Par ailleurs, la gestion des ressources humaines a dévoilé une capacité d’adaptation impression­nante au cours des semaines précédente­s. Entre autres, les obstacles souvent invoqués en réticence au télétravai­l se sont dissipés en un instant, promettant une meilleure conciliati­on famille-travail.

Puis, les employés des supermarch­és à qui l’on refusait une hausse du taux horaire à 15 dollars, ou le personnel de la santé dont les conditions de travail épouvantab­les attirent d’ordinaire peu la sympathie de la population, se retrouvent soudaineme­nt acclamés en tant qu’anges gardiens, et leur rémunérati­on est aussitôt élevée par une interventi­on étatique. On comprend enfin leur rôle essentiel dans notre économie capitalist­e, qui avait pris l’habitude de les reléguer à une certaine précarité.

Derrière le constat sourd des défaillanc­es de la régulation du marché du travail par les principes du néolibéral­isme, cette crise sanitaire suscite donc des réflexions et alimente un vaste terrain d’expériment­ation pour l’avenir de l’emploi, qu’il faudra certaineme­nt poursuivre une fois la situation résorbée.

Newspapers in French

Newspapers from Canada