Le chant de la terre de Penderecki
In extremis, Krzysztof Penderecki a pu compléter son legs symphonique. Le CD vient de paraître, et c’est un bijou.
Parue une semaine avant la mort du compositeur, le 29 mars 2020, la
6e Symphonie boucle le cycle des symphonies de Krzysztof Penderecki. Un admirable disque, qui nous console de l’assèchement final des dernières années de création de Penderecki, qui se consacrait avec acharnement à un ambitieux opéra sur Phèdre pour l’Opéra de Vienne, projet qui ne vit jamais le jour, car le compositeur jeta l’éponge en mars 2018 après six années de travail.
À la fin de l’année 2014 était parue la plus étrange des intégrales symphoniques : un coffret des huit symphonies de Krzysztof Penderecki, privé d’une 6e Symphonie qui n’existait tout simplement pas. Quinze ans plus tôt, lors de la parution de la Septième, son éditeur, Schott, expliquait que « la
Sixième n’est, certes, pas encore composée, mais existe sous forme de brouillon artistique ».
Que reste-t-il de ce brouillon dans cette 6e Symphonie sous-titrée « Mélodies chinoises » que nous recevons aujourd’hui ? Le propos, en tout cas, était clair, et on comprend Penderecki de lui avoir réservé le chiffre 6. Le compositeur polonais (1933-2020) voulait composer une « élégie pour une forêt mourante », une sorte d’anti-Pastorale de Beethoven.
L’amoureux des arbres
Très proche de la nature, passionné de botanique et créateur du plus grand arboretum de Pologne, Penderecki s’était insurgé depuis le milieu des années 1990 contre la destruction des forêts, notamment des forêts tropicales, au nom du progrès économique.
L’enjeu l’a-t-il paralysé ? Pendant plus de 20 ans, il n’y a pas eu de
6e Symphonie de Penderecki. Cette oeuvre est-elle au compositeur polonais ce que la 1re Symphonie fut à Brahms : son blocage beethovenien ? (La crainte de la comparaison avec Beethoven avait paralysé Brahms, qui avait reporté sa première création symphonique.)
La 6e Symphonie, créée en 2017 en Chine et enregistrée ici par Wojciech Rajski, doit beaucoup à la 8e Symphonie, « Chants de l’éphémère », qui était une suite de mélodies avec orchestre, alliance de poésie et de musique. Penderecki franchit un pas supplémentaire et trouve le lien subliminal qui supporte son propos en ne faisant appel qu’à des textes de poètes chinois traduits par Hans Bethge, celui qui traduisit les poèmes utilisés par Mahler dans Le chant de la terre.
Sa Symphonie pastorale, Penderecki en fait finalement son « Chant de la terre » à lui, tout en parsemant l’oeuvre, au coin de telle ou telle phrase, de subtiles références à Mahler, dont la plus évidente, rappel à « L’adieu » mahlérien, se trouve au début du 8e et dernier mouvement, « Le chant de la flûte en automne ». Des solos d’erhu font le lien entre certains mouvements, comme un lien entre les cultures. Le langage est très néo-romantique, post-Mahler et Britten, l’oeuvre admirable, hors du temps, et très émouvante.
Dans le disque de Rajski, somptueusement enregistré, la symphonie est complétée par le Concerto pour alto, transcrit pour clarinette. L’oeuvre démontre la proximité de Penderecki avec les maîtres du XXe siècle, le 1er mouvement étant un hommage, voire un quasidécalque, de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók.