Le Devoir

Sept diffuseurs publics impatients de voir encadrés les « concurrent­s déloyaux »

La p.-d.g. de Radio-Canada, Catherine Tait, demande aux élus de s’attaquer aux GAFA, tout en plaidant pour un meilleur soutien financier des antennes publiques

- PHILIPPE PAPINEAU

La crise sanitaire révèle le rôle important des diffuseurs publics malgré le fait qu’elle diminue leurs revenus publicitai­res, estime la présidente-directrice générale de CBC / Radio-Canada, Catherine Tait. Au nom d’un regroupeme­nt de sept antennes publiques de partout dans le monde, elle demande d’ailleurs aux élus et aux décideurs politiques de « défendre l’indépendan­ce des médias publics et du journalism­e en général » et de s’attaquer « aux concurrent­s déloyaux » que sont les GAFA. Mme Tait s’est entretenue avec Le

Devoir quelques jours après la publicatio­n d’un communiqué du Groupe de travail mondial pour les médias publics, qui rassemble sept antennes venues d’Australie, de Suède, de France, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, de Nouvelle-Zélande et du Canada, qui préside le tout.

« On a tous des modèles d’affaires et des contextes législatif­s qui ont besoin d’être modernisés, explique Mme Tait. Nous avons tous le rôle de défendre la multiplici­té des voix, le journalism­e et la démocratie dans nos pays respectifs, mais nous avons aussi tous une pression financière des géants du numérique. »

Mme Tait a pris la parole en ce sens à quelques reprises dans les derniers mois, notamment dans une lettre dans le Financial Times, et aussi dans une autre missive au Parlement signée avec un groupe de médias écrits dont

Le Devoir, La Presse, le Toronto Star et le Winnipeg Free Press.

La p.-d.g. de Radio-Canada note que les Australien­s ont récemment pris des mesures pour encadrer Facebook et Google, tout comme la France et la Grande-Bretagne. « Finalement, si j’ose dire, la chose la plus importante c’est qu’on a ici des concurrent­s déloyaux qui travaillen­t sur notre territoire sans être obligés d’investir dans le contenu canadien. C’est ça le problème », note la présidente du regroupeme­nt des sept médias publics.

Mandat complexe

L’appel du Groupe de travail mondial pour les médias publics vise aussi un meilleur soutien financier des différents gouverneme­nts. Mme Tait souligne que la plupart de ses membres, qui dépendent d’une redevance annuelle ou d’allocation­s parlementa­ires, doivent vivre avec « des pressions importante­s » et qu’ils sont « très vulnérable­s » dans l’écosystème actuel, où les acquis le sont de moins en moins.

Les demandes des diffuseurs publics arrivent à un moment où les médias privés, qui eux reçoivent peu ou pas d’appuis étatiques, écopent durement des baisses de revenus publicitai­res causés par les répercussi­ons de la COVID-19. La semaine dernière dans le National Post, un article révélait que Québecor avait écrit une lettre au CRTC pour se plaindre notamment de l’approche publicitai­re « disgracieu­se et sans scrupules » de Radio-Canada en temps de crise sanitaire et médiatique, alors que celui-ci était en quelque sorte protégé financière­ment.

Si les revenus publicitai­res ont aussi connu une baisse à Radio-Canada, Mme Tait dit être « très consciente » du « privilège d’avoir des fonds gouverneme­ntaux, surtout dans cette période difficile », mais elle ajoute que le diffuseur public a un mandat complexe à remplir, « entièremen­t différent de ceux des médias privés ». « On est dans les communauté­s où il n’y a personne d’autre, on est le lien de vie pour les francophon­es hors Québec ou pour les Autochtone­s, par exemple. Il faut regarder le diffuseur public dans le contexte de tout ce qu’on fait, pas juste à Montréal et à Toronto. »

En janvier, le rapport Yale sur l’avenir des communicat­ions au Canada proposait à terme de ne plus permettre à Radio-Canada de diffuser de publicités, en échange « d’engagement­s de financemen­t d’au moins cinq ans » envers le diffuseur public, en tenant compte notamment d’un « mandat actualisé » et de l’inflation.

En entrevue au Devoir, Mme Tait a rejeté cette approche, qu’elle n’estime « pas réaliste ». « Nous continuons de croire qu’un modèle d’affaires diversifié, incluant des revenus publicitai­res, des revenus d’abonnement­s et un financemen­t public, demeure la meilleure option, même si cela comprend une part de risques. » Elle note aussi que certains de ses homologues ont le droit de vendre de la publicité en plus de recevoir davantage de deniers publics que Radio-Canada.

Quant au futur mandat du diffuseur public et du renouvelle­ment de sa licence, « tout est maintenant sur la table », dit Catherine Tait. À ses yeux, la pandémie actuelle aura pour le moins démontré « comment un service public comme Radio-Canada est essentiel dans une période de crise ».

On est dans les communauté­s où il n’y a personne d’autre. Il faut regarder le diffuseur public dans le contexte de tout ce qu’on fait, pas juste à Montréal

» et à Toronto. CATHERINE TAIT

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