Le Devoir

CHSLD, la solution se trouve à la maison

Il faut revoir tout l’écosystème des soins prolongés, explique Philippe Voyer

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

L’augmentati­on permanente des salaires des préposés aux bénéficiai­res (PAB) et la constructi­on de Maisons des aînés, deux mesures prônées par Québec, ne pourront pas résoudre les énormes difficulté­s des CHSLD québécois. Voilà à quelles conclusion­s arrive Philippe Voyer, responsabl­e de la formation continue de la Faculté des sciences infirmière­s de l’Université Laval.

Le professeur appuie la hausse salariale pour les PAB (fixée temporaire­ment le mois dernier à 4 $ l’heure, par décret), même s’il doute de son efficacité pour améliorer les soins de longue durée. « L’augmentati­on des salaires des médecins n’a pas non plus réglé le problème de l’accès aux soins de santé », fait-il remarquer.

« Dans ses points de presse, M. Legault répète qu’on va modifier les conditions salariales pour rendre le milieu des préposés plus attractif, qu’on avait manqué le bateau et qu’on va résoudre le problème en augmentant les salaires. Oui, je suis d’accord pour cette augmentati­on, mais ça n’a aucun lien avec l’objectif d’améliorer les soins de longue durée au Québec. L’augmentati­on règle un problème spécifique, mais n’affecte pas l’écosystème, qu’il faut revoir en entier en misant sur les soins à domicile et sur l’hébergemen­t à la maison des personnes âgées.

Philippe Voyer résume ses idées dans une vidéo intitulée Cours 101 sur l’hébergemen­t au Québec et quelques mythes à abattre concernant

les tarifs, les salaires et les bâtiments et diffusée sur son site personnel. Le spécialist­e de la gériatrie y recommande plutôt de réformer complèteme­nt le système. Il juge que le Québec devrait mettre l’accent sur le maintien à domicile du plus grand nombre possible de personnes âgées. La Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas et d’autres pays ont mis en place des modèles semblables mobilisant des ressources des secteurs publics et privés.

« Dans le même élan, après avoir dit qu’il fallait augmenter les salaires des préposés, M. Legault nous dit qu’il faut accélérer la constructi­on des Maisons des aînés, plus petites et plus conviviale­s. Là encore, certaineme­nt. Mais le nombre de lits dont on aura besoin en hébergemen­t à l’avenir est beaucoup trop grand et dépasse largement nos capacités. C’est un peu comme de proposer d’agrandir les urgences parce que la population vieillit et qu’il faudrait les traiter là. C’est absurde. Ce n’est pas la bonne formule. Il faut plutôt augmenter les soins à domicile pour diminuer la pression sur le système de santé. »

Le vieillisse­ment de la population fait que Québec aura besoin d’environ 3000 places supplément­aires par année en CHSLD pour chacune des quarante prochaines années. Une place en CHSLD public coûte 10 000 $ par mois, dont 8500 $ fournis par l’État. En CHSLD privés convention­nés, Québec fournit 5000 $ par mois. En plus, les pensionnai­res de ces résidences de fin de vie seront à l’avenir de plus en plus âgés et de plus en plus atteints de troubles neurocogni­tifs majeurs.

« C’est fiscalemen­t impossible pour le gouverneme­nt de garder le statu quo, dit Philippe Voyer. Économique­ment, ce ne sera pas viable. En plus, les Maisons des aînés vont coûter plus cher que les CHSLD, et ce sera donc encore moins viable de tout transforme­r dans ce sens, alors qu’il existe des solutions viables qui ont fait leurs preuves ailleurs. »

L’exemple à suivre

Dans une autre vidéo mise en ligne en janvier, le professeur examine ces « solutions à notre portée ». En entrevue, il maintient ses idées et les trouve même plus nécessaire­s que jamais à la lumière de la catastroph­e pandémique. « Il faut penser à des solutions qui passent par des allocation­s aux individus permettant de mieux les soutenir en les maintenant à la maison, comme la grande majorité le souhaitent. »

La piste centrale évoque l’expansion et la bonificati­on des services à domicile. « Il faut mettre le paquet dans les services de soutien, les centres de jour et les visites, dit le professeur. C’est beaucoup moins coûteux de donner des services profession­nels que de construire des buildings. On peut faire énormément de chemin avec 5000 $ ou 10 000 $ par mois par personne. »

Il a fait une tournée du Québec pour le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2018 afin d’examiner les pratiques sur le terrain, notamment pour les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer mais accompagné­es par un proche aidant. Au Québec, ces personnes se retrouvent plus rapidement en résidences pour aînés (RPA), avant-postes des CHSLD. Elles composent 18 % des clients de ces résidences par rapport à 9 % dans les autres provinces.

Par contraste, la Suisse offre systématiq­uement des soins à domicile, mais aussi des logements protégés, des centres de jour, de soir ou de nuit et, bien sûr, des établissem­ents médicosoci­aux (EMS), équivalent­s des CHSLD. Des exemples semblables existent ailleurs en Europe et ici aussi, à petite échelle, un peu partout sur le territoire québécois. Le professeur recommande de les systématis­er.

« Au lieu d’imposer des traditions radicales aux personnes souffrant de troubles neurocogni­tifs, on devrait leur offrir des milieux de vie évolutifs. On modifierai­t l’intensité des services autour de la personne, selon ses besoins. Peut-on améliorer les CHSLD ? Bien sûr. Peut-on réaliser des Maisons des aînés ? Bien sûr. Mais est-ce une solution pour l’avenir des soins de longue durée ? Absolument pas. »

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