CHSLD, la solution se trouve à la maison
Il faut revoir tout l’écosystème des soins prolongés, explique Philippe Voyer
L’augmentation permanente des salaires des préposés aux bénéficiaires (PAB) et la construction de Maisons des aînés, deux mesures prônées par Québec, ne pourront pas résoudre les énormes difficultés des CHSLD québécois. Voilà à quelles conclusions arrive Philippe Voyer, responsable de la formation continue de la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval.
Le professeur appuie la hausse salariale pour les PAB (fixée temporairement le mois dernier à 4 $ l’heure, par décret), même s’il doute de son efficacité pour améliorer les soins de longue durée. « L’augmentation des salaires des médecins n’a pas non plus réglé le problème de l’accès aux soins de santé », fait-il remarquer.
« Dans ses points de presse, M. Legault répète qu’on va modifier les conditions salariales pour rendre le milieu des préposés plus attractif, qu’on avait manqué le bateau et qu’on va résoudre le problème en augmentant les salaires. Oui, je suis d’accord pour cette augmentation, mais ça n’a aucun lien avec l’objectif d’améliorer les soins de longue durée au Québec. L’augmentation règle un problème spécifique, mais n’affecte pas l’écosystème, qu’il faut revoir en entier en misant sur les soins à domicile et sur l’hébergement à la maison des personnes âgées.
Philippe Voyer résume ses idées dans une vidéo intitulée Cours 101 sur l’hébergement au Québec et quelques mythes à abattre concernant
les tarifs, les salaires et les bâtiments et diffusée sur son site personnel. Le spécialiste de la gériatrie y recommande plutôt de réformer complètement le système. Il juge que le Québec devrait mettre l’accent sur le maintien à domicile du plus grand nombre possible de personnes âgées. La Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas et d’autres pays ont mis en place des modèles semblables mobilisant des ressources des secteurs publics et privés.
« Dans le même élan, après avoir dit qu’il fallait augmenter les salaires des préposés, M. Legault nous dit qu’il faut accélérer la construction des Maisons des aînés, plus petites et plus conviviales. Là encore, certainement. Mais le nombre de lits dont on aura besoin en hébergement à l’avenir est beaucoup trop grand et dépasse largement nos capacités. C’est un peu comme de proposer d’agrandir les urgences parce que la population vieillit et qu’il faudrait les traiter là. C’est absurde. Ce n’est pas la bonne formule. Il faut plutôt augmenter les soins à domicile pour diminuer la pression sur le système de santé. »
Le vieillissement de la population fait que Québec aura besoin d’environ 3000 places supplémentaires par année en CHSLD pour chacune des quarante prochaines années. Une place en CHSLD public coûte 10 000 $ par mois, dont 8500 $ fournis par l’État. En CHSLD privés conventionnés, Québec fournit 5000 $ par mois. En plus, les pensionnaires de ces résidences de fin de vie seront à l’avenir de plus en plus âgés et de plus en plus atteints de troubles neurocognitifs majeurs.
« C’est fiscalement impossible pour le gouvernement de garder le statu quo, dit Philippe Voyer. Économiquement, ce ne sera pas viable. En plus, les Maisons des aînés vont coûter plus cher que les CHSLD, et ce sera donc encore moins viable de tout transformer dans ce sens, alors qu’il existe des solutions viables qui ont fait leurs preuves ailleurs. »
L’exemple à suivre
Dans une autre vidéo mise en ligne en janvier, le professeur examine ces « solutions à notre portée ». En entrevue, il maintient ses idées et les trouve même plus nécessaires que jamais à la lumière de la catastrophe pandémique. « Il faut penser à des solutions qui passent par des allocations aux individus permettant de mieux les soutenir en les maintenant à la maison, comme la grande majorité le souhaitent. »
La piste centrale évoque l’expansion et la bonification des services à domicile. « Il faut mettre le paquet dans les services de soutien, les centres de jour et les visites, dit le professeur. C’est beaucoup moins coûteux de donner des services professionnels que de construire des buildings. On peut faire énormément de chemin avec 5000 $ ou 10 000 $ par mois par personne. »
Il a fait une tournée du Québec pour le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2018 afin d’examiner les pratiques sur le terrain, notamment pour les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer mais accompagnées par un proche aidant. Au Québec, ces personnes se retrouvent plus rapidement en résidences pour aînés (RPA), avant-postes des CHSLD. Elles composent 18 % des clients de ces résidences par rapport à 9 % dans les autres provinces.
Par contraste, la Suisse offre systématiquement des soins à domicile, mais aussi des logements protégés, des centres de jour, de soir ou de nuit et, bien sûr, des établissements médicosociaux (EMS), équivalents des CHSLD. Des exemples semblables existent ailleurs en Europe et ici aussi, à petite échelle, un peu partout sur le territoire québécois. Le professeur recommande de les systématiser.
« Au lieu d’imposer des traditions radicales aux personnes souffrant de troubles neurocognitifs, on devrait leur offrir des milieux de vie évolutifs. On modifierait l’intensité des services autour de la personne, selon ses besoins. Peut-on améliorer les CHSLD ? Bien sûr. Peut-on réaliser des Maisons des aînés ? Bien sûr. Mais est-ce une solution pour l’avenir des soins de longue durée ? Absolument pas. »