Le Devoir

Denys Desjardins regarde la vieillesse en face, dans un documentai­re poignant sur le déclin de sa mère et la vie en CHSLD

Denys Desjardins propose un documentai­re poignant sur le déclin de sa mère et sur la réalité des résidences pour personnes âgées

- CAROLINE MONTPETIT

Denys Desjardins a une caméra dans l’oeil. Et cet oeil, il le pose sur les êtres qui lui sont le plus chers. Parmi eux, il y a sa mère, Madeleine Ducharme Desjardins, décédée il y a un mois, vraisembla­blement de la COVID-19, au CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci. Dans les années précédant son décès, il l’a suivie dans sa vieillesse et son déclin, qui sont au coeur du puissant documentai­re Le Château.

Le château, c’est le Château Beaurivage, une résidence privée pour personnes âgées de Montréal, où Madeleine a déménagé il y a environ huit ans. Elle vit alors dans un trois pièces et demie, pour personnes autonomes, où elle espère bien rester jusqu’à la fin de ses jours. Mais la vie n’est pas si simple. Et le Château deviendra un enfer lorsque Madeleine devra quitter cet appartemen­t pour un une pièce pour personne moins autonome, puis pour l’urgence, avant d’aller mourir en CHSLD.

« On passe d’un château de rêve à la Walt Disney à une espèce de cauchemar, parce que l’administra­tion de la résidence rejette ma mère jusqu’à la fin », dit le cinéaste en entrevue.

Chez les personnes âgées, tout déménageme­nt provoque une perte de repère. Madeleine Ducharme-Desjardins croyait pouvoir rester chez elle « à la vie, à la mort ».

« Ma mère s’est trompée, dit le cinéaste. Elle a pris une résidence pour personnes âgées pour un CHSLD. »

C’est parce qu’il était un proche aidant de sa mère, très familier de son environnem­ent — il a d’ailleurs déjà été préposé aux bénéficiai­res —, que Denys Desjardins a pu obtenir l’autorisati­on de filmer au Château Beaurivage. Et le documentai­re, qui voulait d’abord se pencher sur la vieillesse et sur cette résidence privée pour personnes âgées, a vite pris pour personnage principal la propre mère du cinéaste.

« J’étais en recherche volontaire et involontai­re, mais quand ma mère s’est mise à avoir de plus en plus de pertes cognitives, il m’est apparu de plus en plus urgent » de la filmer, dit-il.

Dans le film, on voit cette femme perdre graduellem­ent la mémoire, s’accrocher pour se souvenir du nom de ses enfants, jusqu’à ne plus savoir où elle est du tout.

Le témoignage de Denys Desjardins ne se termine pas là. Il a entamé un second film sur le sujet, intitulé J’ai placé ma mère , qui se poursuit au CHSLD alors que Le Château se termine au moment où sa mère quitte le Château Beaurivage.

Pour Denys Desjardins, il était tout naturel de filmer le déroulemen­t de la vieillesse maternelle, lui dont le père a gravé l’enfance sur une série de films de famille amateurs tournés à la caméra super 8. Passionné de cinémavéri­té, il a traîné sa caméra, pour capter chaque instant de la vie maternelle, jusqu’à l’urgence de l’hôpital, où c’est pourtant interdit.

« Les personnes âgées et malades sont mal perçues. Alors, on les cache et elles finissent par disparaîtr­e » de l’espace public, dit-il.

Une affaire de gros sous

Ce que Denys Desjardins dénonce en entrevue, c’est moins la gestion particuliè­re de la résidence du Château Beaurivage, où les conditions demeurent bonnes pour les personnes autonomes, que toute l’industrie et le système qui tournent autour de la vieillesse au Québec. D’ailleurs, le Château Beaurivage lui-même a changé de propriétai­re pendant le séjour de Madeleine Ducharme-Desjardins, pour passer aux mains de Chinois. « Il y a une affaire de gros sous dans tout ça », dit-il.

Denys Desjardins parle entre autres des subvention­s, initialeme­nt destinées aux proches aidants des personnes de plus de 70 ans, qui sont récupérées par les résidences privées, où chaque bain, chaque repas, est facturé. « Tout marche à la carte. C’est ça, le privé », dit-il.

Pendant ce temps, ces subvention­s, qui peuvent dépasser 740 $ par mois, selon lui, échappent au secteur des services à domicile, qui se trouve ainsi éliminé. « À mon avis, il faudrait revoir ce système, parce que cela a un effet pervers sur l’aide à domicile. »

Le CHSLD, où se déroulera vraisembla­blement le prochain film de Denys Desjardins, est quant à lui un milieu paradoxale­ment « inhospital­ier ». « Ma mère n’a pas eu une fin de vie heureuse », constate-t-il, un trémolo dans la voix. Dans ce milieu où la moyenne d’âge est de 88 ans, et où il y a « beaucoup de couches à changer », 80 % de la main-d’oeuvre provient de l’immigratio­n haïtienne. S’il y a beaucoup d’amour et de bonne volonté sur les étages, les préposés sont constammen­t débordés. « Quand on est mieux payé, on est mieux considéré », remarque-t-il.

Les derniers jours de Madeleine Ducharme-Desjardins se sont déroulés en pleine crise de la COVID-19.

« On s’est mis à voir des préposés aux bénéficiai­res qu’on n’avait jamais vus », dit-il. Alors que sa mère était très en forme quelques jours auparavant, elle s’est mise à souffrir de problèmes pulmonaire­s et a été transférée aux soins palliatifs, ce qui a permis à ses proches de passer 72 heures à ses côtés. Bien qu’elle ait eu de nombreux symptômes de la COVID-19, on n’a pas diagnostiq­ué cette maladie. « Ma mère n’était pas une priorité », dit le cinéaste.

Avant de mourir, elle avait beaucoup maigri, elle qui avait pourtant assisté, toute pimpante, à la première du film Le Château, le 4 mars dernier, aux Rendez-vous du cinéma québécois.

Comme bien d’autres familles du Québec, sa famille est dans l’impossibil­ité de célébrer ses funéraille­s et de faire son deuil convenable­ment.

Ce deuil, c’est à travers son film, qui rend hommage à sa mère, que Denys Desjardins tente aujourd’hui de le faire. « Le cinéma, c’est un outil de mémoire », dit-il. C’est aussi un moyen de regarder la vieillesse en face.

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 ?? DOMINIC DESMEULES ?? Le Château
Denys Desjardins, Canada, 72 minutes
Madeleine DucharmeDe­sjardins, en bas à gauche, échange avec ses amies et avec son fils Denys Desjardins lors du tournage du documentai­re Le Château.
DOMINIC DESMEULES Le Château Denys Desjardins, Canada, 72 minutes Madeleine DucharmeDe­sjardins, en bas à gauche, échange avec ses amies et avec son fils Denys Desjardins lors du tournage du documentai­re Le Château.

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