Le Devoir

Les soins intensifs mis à rude épreuve

La reprise des chirurgies et le déconfinem­ent prévu risquent de rajouter de la pression

- ISABELLE PARÉ

Les unités de soins intensifs des hôpitaux sont sous haute pression et risquent d’être autrement plus sollicitée­s lors du déconfinem­ent qui s’annonce. Car depuis le tout début de l’épidémie, pas moins de 68 % des patients qui ont dû y être traités pour survivre à la COVID-19 avaient entre 19 et 70 ans.

C’est du moins ce qu’a appris Le Devoir, grâce aux données réclamées au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sur l’ensemble des admissions survenues au Québec aux soins intensifs entre la fin février dernier et le 28 avril.

Si le risque de maladie grave et de décès est nettement plus élevé chez les aînés, ceux-ci ont peu transité dans les unités de soins intensifs puisque l’épidémie s’est surtout concentrée ces dernières semaines dans les CHSLD, hors des hôpitaux.

Jusqu’ici, ce sont donc les adultes et les « jeunes aînés » aux prises avec des complicati­ons importante­s qui ont mobilisé l’essentiel des ressources en soins intensifs.

En près de 45 jours d’épidémie, sur les 632 patients gravement atteints de

la COVID-19 admis et souvent intubés dans les unités de soins intensifs, 385 avaient entre 41 et 70 ans. Du lot, 37 n’ont pu être sauvés. Une soixantain­e de patients de cette tranche d’âge sont aussi décédés dans d’autres unités des hôpitaux. Pas moins de 46 patients de moins de 41 ans ont séjourné aux soins intensifs et un petit nombre — que le MSSS refuse de dévoiler pour des raisons de confidenti­alité — n’a pas survécu. Aucune admission n’a été signalée chez les moins de 18 ans.

« Les plus âgés décèdent surtout sur les étages ou ont déjà donné des indication­s de fin de vie. Mais pas les jeunes. Aux soins intensifs, l’âge des patients oscille entre 40 ans et la soixantain­e avancée », affirme le Dr Germain Poirier, intensivis­te et spécialist­e de la médecine interne à l’hôpital Charles-LeMoyne.

Déconfinem­ent délicat

Au moment où Québec prévoit de lever le confinemen­t pour la population en âge de travailler, ce portrait permet d’anticiper la pression que pourraient connaître sous peu ces unités, essentiell­es pour minimiser le taux de mortalité. Selon le MSSS, le Québec disposerai­t de 1000 lits de soins intensifs. À ce jour, le nombre de patients admis quotidienn­ement dans ces unités oscille autour de 220.

Mais plusieurs spécialist­es craignent l’effet du déconfinem­ent. Si l’épidémie reprend du poil de la bête, les unités de soins intensifs pourraient se retrouver rapidement achalandée­s, alors que s’amorce aussi la reprise des activités urgentes aux blocs opératoire­s, « Il veut éviter une seconde vague d’infections, car si les chirurgies majeures reprennent, plus de patients seront déjà aux soins intensifs. Cela va s’ajouter aux blessures et aux autres traumatism­es qu’amènera la réouvertur­e des chantiers de constructi­on et d’autres secteurs de l’économie », prévoit le Dr Poirier.

Après avoir tardé à consulter, des patients atteints de maladies qui ont vu leur état se dégrader se retrouvent eux aussi aux soins intensifs. Selon ce médecin, même si la capacité d’accueil en soins intensifs a été doublée, même triplée dans certains hôpitaux, encore faut-il que les ressources humaines suivent.

« C’est viable à court ou à moyen terme, mais la COVID-19 ne disparaîtr­a pas du jour au lendemain. On ne peut pas travailler 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Pour prévenir la fatigue, on donne des week-ends au personnel. Après 14 jours aux soins intensifs, les médecins sont retournés sur les étages pour voir d’autres patients moins malades pour souffler », explique le Dr Poirier.

Selon le Dr Hoang Duong, président de l’Associatio­n des médecins spécialist­es en médecine interne du Québec, les intensivis­tes de la métropole ont vu leur charge de travail doubler depuis mars. « Ils sont très sollicités. La fatigue s’installe », dit-il, car les soins prodigués aux patients atteints de COVID-19 requièrent beaucoup de temps et d’énergie. « Il faut revêtir les équipement­s de protection et la respiratio­n devient difficile. Tout est plus lent. Ça affecte l’efficacité », affirme le Dr Duong.

Au CHUM, le Dr Jean-François Lizé, chef de l’unité des soins intensifs (USI), s’attend à voir « la courbe remonter pour les prochaines semaines. » Car une population plus jeune, notamment les professeur­s et les éducatrice­s en garderie, sera bientôt exposée à un plus grand risque d’infection.

« La commande va être lourde, car on essaie de reprendre lentement les chirurgies essentiell­es. À Montréal, on prend en plus le relais d’hôpitaux aux prises avec des éclosions de COVID19 ». Au CHUM, le nombre de lits en soins intensif pourrait passer de 66 à 97, mais « n’aurait vraiment le personnel pour les faire fonctionne­r », admet le Dr Lizé. Malgré tout, dit-il, « les gens ont du coeur et sont prêts » à faire face à la musique.

Legault confiant

Interrogé sur la capacité des hôpitaux à encaisser le déconfinem­ent, le premier ministre, François Legault, a reconnu jeudi que « les marges de manoeuvre [étaient] moins grandes à Montréal. » « On est aujourd’hui le 30 avril. […] Concrèteme­nt, il nous reste 11 jours pour les commerces, 19 jours pour les écoles. […] Le go, […] va être donné seulement si toutes les conditions sont remplies avant ces dates-là. » Le directeur de la santé publique, le Dr Horacio Arruda, a quant à lui expliqué qu’il y avait 147 lits de soins intensifs occupés à l’heure actuelle à Montréal.

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