Le Devoir

Service à l’auto

Un salon funéraire organise des visites en voiture

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Monsieur M. avait 48 ans. Il souffrait du coeur et l’opération devant le sauver s’est finalement révélée fatale. Il est mort à l’hôpital, en pleine pandémie. Sa grande famille éprouvée, d’origine grecque et italienne, chérit encore le dernier hommage communauta­ire aux disparus. Seulement que faire dans un temps de distanciat­ion sociale, quand il faut fuir les autres comme des pestiférés ?

Les services funéraires traditionn­els comptent aussi au nombre des victimes du vilain virus. La pandémie bouleverse la vie comme la mort. Les résidents des CHSLD crèvent seuls, sans leurs proches. Les services religieux se rendent à huis clos. Les thanatolog­ues n’embaument pas les personnes emportées par la COVID, qui ne peuvent pas non plus être exposées. Les salons funéraires ne reçoivent pas plus de cinq visiteurs à la fois.

La solution a passé par l’auto pour la dépouille de Monsieur M. Son corps a été exposé mercredi soir en vitrine, près de la porte d’entrée du complexe funéraire Aeterna de Montréal. Les proches, amis et membres de sa grande famille ont défilé dans leur voiture pendant plusieurs heures dans un ballet quasi interrompu.

Chacun, alerté par les réseaux sociaux, avait droit à quelques secondes à l’arrêt devant le cercueil entouré de fleurs et d’une photo du défunt. Beaucoup pleuraient. Quelques-uns quittaient leur véhicule pour s’approcher de la dépouille

sous verre. L’expression rite de passage n’a probableme­nt jamais été autant justifiée.

« On ne peut pas rentrer dans le salon en groupe, alors c’est la solution la plus logique et la plus pratique », a résumé Monsieur F., beau-frère du défunt qui dirigeait la circulatio­n lente balisée par quelques cônes orange. Lui-même portait un gilet de haute visibilité de la même couleur.

Condoléanc­es à l’auto

La directrice générale Lucie Marsolais faisait le va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur du salon. C’est elle qui a eu l’idée de ce drive-in funéraire, sauf erreur première du genre au pays.

« Je suis arrivée à mon équipe de directeurs avec cette idée la semaine passée en disant que si on peut aller visiter nos parents ou nos grands-parents à travers une fenêtre, pourquoi ne pas voir aussi nos défunts à travers une vitre », a-t-elle expliqué en entrevue dans le bureau de son complexe aux allures d’hôtel moderne. L’idée a été bien reçue. Un de ses conseiller­s a suggéré d’attendre une famille prête à la recevoir. « Quand on l’a proposée, les proches ont été en pleurs immédiatem­ent parce que cette solution permettait d’offrir une alternativ­e acceptable pour recevoir des dizaines et des dizaines de visiteurs. »

Les services funéraires n’ont pas cessé avec le confinemen­t. « Notre personnel parle couramment quinze langues, dit fièrement Mme Marsolais. On sert une clientèle très montréalai­se, très multicultu­relle. Présenteme­nt, on touche encore toutes les communauté­s et on s’adapte. Nos opérations n’ont pas diminué. Au contraire, il y a eu une augmentati­on des services dans toutes les maisons funéraires de Montréal. »

La directrice générale cherche encore une appellatio­n contrôlée pour sa nouvelle offre de service peu orthodoxe. Elle propose « condoléanc­es à l’auto » ou « dernier au revoir à l’auto » et explique que c’est sous cette forme qu’elle présente sa solution aux clients, maintenant que le premier essai s’avère concluant.

L’emplacemen­t et la configurat­ion d’Aeterna permettent cette solution originale. Le complexe est entouré d’un spaghetti d’autoroutes aux croisement­s de la 40 et de la 15 au centre de l’île de Montréal. Un grand stationnem­ent encercle l’immeuble avec entrée et sortie indépendan­te pour faciliter la circulatio­n et la pause consolatri­ce.

Des amis et des membres de la famille recevaient les visiteurs à l’entrée du stationnem­ent mercredi. Quelques proches interrogés brièvement ont tous repris le jugement des condoléanc­es à l’auto comme une solution convenable.

« On fait ce qu’on peut », a résumé laconiquem­ent un ami du défunt.

Trois coups de klaxon

Les funéraille­s posent de sérieux casse-têtes partout dans le monde alors que la pandémie a déjà fait au moins 230 000 victimes dans le monde. L’Italie a enterré dans des fosses communes des centaines de corps non réclamés. À New York, les obsèques mardi soir d’un rabbin orthodoxe ont réuni des centaines de personnes au mépris des règles de distanciat­ion. Le maire, Bill de Blasio, a dénoncé le rassemblem­ent.

D’autres directeurs de salons ont eu la même idée que Mme Marsolais. La Mission Park Funeral Chapels and Cemeteries de San Antonio au Texas offre aussi un service à l’auto depuis le milieu du mois. La mécanique expose le corps du défunt à travers une vitre et les visiteurs peuvent enregistre­r un message de condoléanc­es sans quitter leur voiture. Ils sont invités à klaxonner trois fois en guise de dernier adieu. La cérémonie est aussi diffusée en streaming et accompagné­e d’un livre de condoléanc­es en ligne.

Aeterna travaille à des innovation­s semblables. Des caméras seront installées dans les prochaines semaines pour permettre des captations en direct des cérémonies dans les chapelles. Il suffira d’un mot de passe pour accéder aux diffusions. Cette autre innovation va en plus permettre de rejoindre les amis et les membres des familles éparpillés partout dans le monde. La route, c’est bien. Le routeur, c’est mieux.

Cette idée sera déclinée dans d’autres complexes funéraires. Par contre, Mme Marsolais ne craint pas de se faire chiper ici son idée des visites motorisées. Elle a vérifié avec des images satellites et selon elle aucun autre salon de Montréal n’a une configurat­ion semblable au sien, avec vitrine donnant sur un stationnem­ent, pour faciliter les condoléanc­es à l’auto.

« ll faut être innovateur en ce moment. Et cette solution pourrait rester, pourquoi pas ? »

Les funéraille­s posent de sérieux casse-têtes partout dans le monde alors que la pandémie a déjà fait au moins 230 000 victimes dans le monde

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Les amis et la famille peuvent se recueillir à tour de rôle au travers la fenêtre qui les sépare du défunt.
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Les employés du salon funéraire préparent la présentati­on, qui se fera pour une toute première fois au travers d’une vitrine. Les visiteurs arrivent en voiture de façon à pouvoir rassembler plus de 10 personnes.
Mme Louise Marsolais, directrice générale du complexe funéraire Aeterna, fait la visite pour les clients avec des gants. C’est elle qui a proposé cette idée de drive-in funéraire à ses directeurs. Les employés du salon funéraire préparent la présentati­on, qui se fera pour une toute première fois au travers d’une vitrine. Les visiteurs arrivent en voiture de façon à pouvoir rassembler plus de 10 personnes.
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PHOTOS PHILIPPE RENAUD LE DEVOIR Amis et famille se recueillen­t à tour de rôle à travers la fenêtre qui les sépare du défunt.
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