We are not one !
Il arrive aux artistes de préfigurer le monde de demain chaque fois qu’ils trouvent les mots justes pour nommer ce qu’ils voient. Mais, il leur arrive aussi de radoter celui d’hier. En baptisant We Are One (nous sommes un) ce nouveau festival du film virtuel qui regroupera notamment les festivals de Cannes, de Venise, de Berlin et de Toronto, ses créateurs s’inscrivent plutôt dans la seconde catégorie.
En effet, à l’occasion de cette pandémie qui ébranle nombre de certitudes, rarement le monde aura-t-il été moins uni et aussi divisé. En d’autres mots, we are not one, mais alors pas du tout ! Qu’on se le dise, nous ne sommes plus à l’époque de We Are the World, la chanson de Michael Jackson et Lionel Richie, écrite en 1985 pour venir en aide à l’Éthiopie alors frappée par la famine.
Elle fut non seulement l’hymne du grand business mondialisé de la charité, mais le geste inaugural d’une époque qui annonçait le début d’une vaste mondialisation qui s’annonçait heureuse. En pleines négociations du premier grand traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, signé deux ans plus tard, cet hymne au sans-frontiérisme et à l’universalisme débridé préfigurait tous les grands traités de libre-échange qui allaient suivre, de l’ALENA à Maastricht en passant par l’entrée de la Chine à l’OMC. Sans oublier l’explosion du tourisme de masse et de l’immigration sauvage.
On connaît la ritournelle du « cercle vertueux », qui n’est d’ailleurs pas toujours fausse. Grâce à la spécialisation, la mondialisation et l’ouverture des frontières permettaient des économies d’échelle qui bénéficiaient à tous. Certains y verront même « la fin de l’histoire », des guerres et des rivalités symbolisées par le triomphe de ces ONG mondialisées préfigurant une sorte de gouvernement mondial rêvé par la gauche autant que par la droite.
Est-il besoin de préciser que nous avons changé d’époque ? Il y a d’abord eu le choc de la crise de 2008 et de l’euro symbolisé par le sort fait à la Grèce dans l’Union européenne. En Europe et aux États-Unis, il y eut ensuite la crise des migrants qui précipita la montée des populismes de toutes sortes. On est donc justifié de se demander si la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui mettra un troisième coup de frein à cette mondialisation, visiblement de moins en moins « heureuse ».
La solidarité ne s’invente pas. Partout, on a vu qu’elle était d’abord nationale. Pendant que les Québécois se tournaient vers François Legault, les Français, les Allemands et les Suédois se tournaient vers leurs représentants nationaux. Ce que certains qualifièrent à tort d’« égoïsme national » n’était qu’une forme de pragmatisme bien senti. À d’hypothétiques appartenances, canadienne ou européenne par exemple, tous ont préféré cette nation bien en chair qu’on disait pourtant en voie de disparition.
C’est ce que le géographe Michel Foucher nomme le retour du refoulé. « Il aura fallu, dit-il, pas moins d’une pandémie pour que les frontières soient plus que de simples lignes en pointillé et qu’on en redécouvre, entre autres, le rôle protecteur, tant pour la santé physique que mentale. Il était temps, peut-être. »
Se tournant vers leurs seuls représentants légitimes, les peuples n’ont pourtant pas toujours aimé ce qu’ils ont vu. Ils ont découvert des États fragilisés au point de ne pouvoir fournir à leur population des masques qui ne coûtent que quelques sous l’unité. Ils ont découvert des États à la souveraineté morcelée qui avaient laissé la désindustrialisation ravager des secteurs entiers et souvent stratégiques de leur économie. Ils ont découvert des dirigeants à ce point saoulés par l’idéologie qu’ils furent incapables, comme Justin Trudeau et Emmanuel Macron, de fermer les frontières à temps. Ce que firent pourtant les Taïwanais et les Coréens afin de protéger leur population.
Ils ont découvert enfin des États où régnaient les techniques de gestion de l’entreprise mondialisée. Ces « flux tendus » où le moindre grain de sable peut créer une pénurie de masques, de médicaments et même de certains aliments. Des techniques qui d’ailleurs présupposent un monde apaisé qui n’est peut-être plus tout à fait le nôtre. Ce n’est pas un hasard si, en France, on voit ressurgir dans l’actualité un ancien ministre comme Arnaud Montebourg qui a toujours défendu le « Made in France » et popularisé la « démondialisation ».
Ce n’est pas non plus un hasard si, depuis deux mois, Emmanuel Macron et Justin Trudeau comptent parmi ceux qui ont le moins brillé dans cette crise, confrontés qu’ils furent à des réalités radicalement étrangères à leur vision dénationalisée du monde.
Qu’adviendra-t-il de ce choc et de cette prise de conscience ? Personne ne le sait. Espérons que l’on retiendra, comme l’écrit Michel Foucher, qu’un monde sans frontières ne saurait être qu’un monde « barbare ». Car, ditil, « tout individu comme toute société a besoin d’une distinction entre le dedans et le dehors, “nous” et “eux”, que l’on soit dans un rapport de domination ou dans un rapport d’égalité. Nous avons besoin de ces limites. On se construit au-dedans dans le rapport au dehors. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est aussi compliqué pour nous de vivre le confinement ».
La solidarité ne s’invente pas. Partout, on a vu qu’elle était d’abord nationale. Pendant que les Québécois se tournaient vers François Legault, les Français, les Allemands et les Suédois se tournaient vers leurs représentants nationaux.