Le Devoir

Une autre préposée tombe au combat

La victime attendait les résultats d’un second test de détection de la COVID-19 quand elle est décédée

- AMÉLI PINEDA GUILLAUME LEPAGE

Une troisième préposée aux bénéficiai­res aurait succombé à la COVID-19 au Québec. Son décès, survenu mercredi, bouleverse ses anciens collègues, qui confient travailler désormais avec la peur au ventre.

« C’était une des employées les plus dévouées. Elle travaillai­t à temps plein et venait souvent faire du temps supplément­aire dans d’autres unités pour nous dépanner », témoigne une consoeur en pleurs, qui a reçu la triste nouvelle comme un coup de massue. « Ça va faire un immense trou sur notre équipe de travail », renchérit un confrère, lui aussi sous le couvert de l’anonymat.

Depuis le début de la pandémie, Marina Thenor Louis était au front dans le CHSLD Cartiervil­le, à Montréal. Celle qui y cumulait 12 ans d’expérience travaillai­t à l’unité où la plupart des patients déclarés positifs à la COVID-19 sont hébergés.

Prise de symptômes similaires à ceux du virus, elle a été testée le 27 avril alors qu’elle était en isolement volontaire. Le résultat est toutefois revenu négatif. Puisque son état de santé ne s’améliorait pas, elle devait subir un second test mercredi. Or, elle ne s’est jamais présentée à son rendez-vous.

« Ce qui me fait le plus de peine, c’est que Marina a laissé sa vie pour s’occuper des aînés alors qu’on dit que tout va bien », se désole Diane Bélair, une préposée à la retraite ayant longtemps travaillé avec la défunte.

Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-deMontréal (NÎM) n’a pu confirmer la cause du décès de la préposée. Par voie de communiqué, il a tenu à offrir ses condoléanc­es aux proches et aux ex-collègues de la préposée pendant cette « épreuve difficile ». « Elle mérite que l’on se souvienne d’elle et de son dévouement à offrir des soins de qualité à nos résidents », a déclaré Frédéric Abergel, président-directeur général du CIUSSS du NIM.

En date du 30 avril, 15 cas de contaminat­ion ont été recensés au CHSLD Cartiervil­le, soit 13 % de ses résidents. Le nombre de personnes ayant succombé à la maladie n’est toutefois pas connu. Après l’annonce du décès jeudi, l’établissem­ent a déployé une cellule de crise.

Coup dur

« Ça prenait des morts pour qu’on s’ouvre les yeux sur ce qui se passe dans les CHSLD », lance Diane Bélair. De cette femme « au grand coeur », elle garde le souvenir impérissab­le d’une personne « forte, dévouée et prête à venir aider à tout moment ».

« Je sais qu’elle avait de la famille en Haïti et qu’elle les aidait. C’était une femme sur qui on pouvait compter dans toutes les circonstan­ces », confiet-elle à l’autre bout du fil, encore émue.

Annie Deschambea­ult, qui a travaillé plus de vingt ans au CHSLD Cartiervil­le, a côtoyé pendant trois ans la défunte. Elle garde en mémoire une personne « toujours positive et souriante ». « C’était une femme travaillan­te, une préposée qui n’était pas lassée de son travail », insiste-t-elle.

Dans la foulée de la médiatisat­ion du décès, des hommages à la vie et au dévouement de la préposée disparue ont afflué sur les réseaux sociaux.

« Je ne peux pas croire qu’on n’entendra plus jamais ton rire si contagieux », s’est désolée une consoeur, qui a souhaité garder l’anonymat pour ne pas perdre son emploi. Celle-ci est en arrêt de travail depuis une semaine, « pour une autre infection que la COVID-19 ». À l’instar de la défunte, elle aussi a été déclarée négative à un premier test, le 21 avril dernier.

La perspectiv­e de faux négatif inquiète les troupes de l’établissem­ent, indique-t-elle dans un échange de messages. « Apparemmen­t, plusieurs résidents ont été déclarés négatifs à un premier test et positifs à un deuxième, 24 à 48 heures après. C’est assez déroutant pour tous », écrit-elle.

Elle critique au passage le « manque de transparen­ce » de son employeur depuis le début de l’éclosion. « Nous n’arrivons même pas à avoir l’informatio­n exacte des unités contaminée­s et du nombre de patients atteints à l’interne. »

« Ils ne veulent pas nous tester tant qu’on n’a pas de symptômes, c’est vraiment terrible. Est-ce que ça prend des décès pour qu’on prenne au sérieux le risque auquel on s’expose ? » renchérit une autre préposée toujours au front au CHSLD Cartiervil­le. Celle qui a requis l’anonymat par crainte de représaill­es confie même avoir peur de retourner au travail.

Une autre collègue déplore le peu d’équipement qui leur a été fourni. « Cette femme-là a fait du temps supplément­aire pour aider et l’employeur n’a même pas été capable de la protéger », s’attriste-t-elle.

Josée (nom fictif) s’inquiète pour ses anciens collègues. Après deux décennies passées au CHSLD Cartiervil­le, elle travaille maintenant dans un hôpital montréalai­s. En contact avec eux régulièrem­ent, elle est à même de voir le décalage entre les deux établissem­ents. « Moi, j’ai reçu une formation adéquate pour la COVID-19, mais pas eux. Ils ne savent pas ce qu’ils font », dit-elle.

Plusieurs mesures de précaution prises à son hôpital ne le sont pas dans son ancien lieu de travail. « Ils peuvent se promener dans les corridors avec la même jaquette, qu’une goutte d’eau peut passer au travers. Ils ne doublent pas systématiq­uement les poches de linge sale non plus », donne-telle en exemple.

« Mais je pense que c’est la même chose pour l’ensemble des CHSLD. On garroche le monde dans une pandémie sans savoir comment l’affronter ».

Ce qui me fait le plus de peine, c’est que Marina a laissé sa vie pour s’occuper » des aînés, alors qu’on dit que tout va bien DIANE BÉLAIR

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Le CHSLD Cartiervil­le où travaillai­t depuis une douzaine d’années la préposée aux bénéficiai­res décédée mercredi.

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