Le Devoir

Dix-huit heures d’affilée aux champs

En manque de main-d’oeuvre, des producteur agricoles pousseraie­nt leurs travailleu­rs étrangers à l’épuisement

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

L’UPA déplore et dénonce tout abus quant aux éléments précédemme­nt décrits PATRICE JUNEAU

L’effet combiné de la COVID-19 et de la pénurie de travailleu­rs mène à de nouveaux abus dans les fermes, certains travailleu­rs étrangers devant travailler jusqu’à 18 heures d’affilée.

On les fait travailler « 16, 17, même 18 heures par jour », rapporte Michel Pilon, du Réseau d’aide aux travailleu­rs et travailleu­ses migrants agricoles du Québec (RATTMAQ). « Ils sont fatigués. On leur dit qu’ils ne sont pas obligés de le faire, mais ils ont peur. »

Depuis trois semaines, le service d’aide téléphoniq­ue de l’organisme a reçu au moins une vingtaine d’appels de travailleu­rs étrangers sur-sollicités par leurs employeurs. « Étant donné qu'ils sont moins nombreux, l’employeur a bien du travail à faire », ajoute-t-il.

Les plaintes étant anonymes, l’organisme n’a pas fourni de détails sur les employeurs en cause, mais il indique que les abus surviennen­t chez des producteur­s de légumes qui manquent de personnel pour planter.

Ces dernières semaines, plus de 4000 de ces travailleu­rs sont arrivés au Québec en provenance du Mexique et du Guatemala. Or, en raison de la pandémie, ils sont beaucoup moins nombreux que d’habitude. L’an dernier, ils étaient 17 000 à travailler dans les fermes, alors qu’en en attend au maximum 12 000 en 2020.

Interpellé­e à ce sujet, l’Union des producteur­s agricoles (UPA) dit avoir été « sensibilis­ée » mercredi au problème par la Table de concertati­on sur les travailleu­rs étrangers temporaire­s.

« L’UPA déplore et dénonce tout abus quant aux éléments précédemme­nt décrits », a indiqué son porteparol­e, Patrice Juneau.

Le regroupeme­nt devait d’ailleurs rappeler dans son infolettre hebdomadai­re que « tout travailleu­r peut refuser de faire plus de 12 heures par période de 24 heures au Québec » et que « l’UPA recommande fortement de ne pas excéder ces heures ».

Peur de la COVID-19

Le Devoir a également appris que les mesures de confinemen­t créaient des tensions particuliè­res dans les fermes. À leur arrivée à l’aéroport, les travailleu­rs mexicains et guatémaltè­ques reçoivent des dépliants sur la COVID-19 et les mesures de confinemen­t. Ils sont ensuite placés en quarantain­e pendant deux semaines.

Le RATTMAQ a aussi reçu des appels de travailleu­rs ayant subi des mesures disciplina­ires telles que des suspension­s parce qu’ils ont quitté la ferme, même après la fin de leur quarantain­e.

« Il y en a un qui avait décidé d’aller s’acheter de la bouffe pendant sa journée de congé. Il gardait la distanciat­ion requise, mais il a quand même eu une mesure disciplina­ire parce qu’il a quitté la ferme », explique M. Pilon. « Les producteur­s disent qu’ils ont peur que la COVID rentre dans leurs fermes, alors ils contrôlent les déplacemen­ts. Ça ne marche pas. »

Dans l’infolettre transmise à ses membres jeudi, l’UPA a aussi fait une précision à ce sujet.

« Après la quarantain­e, les travailleu­rs sont soumis aux mêmes règles de circulatio­n que nous tous. Ils peuvent donc sortir de la ferme s’ils le souhaitent et l’employeur a le devoir de les sensibilis­er aux règles de circulatio­n, aux mesures de distanciat­ion sociale et aux risques de contaminat­ion, a-t-elle écrit. Même en période de pandémie, après la quarantain­e, il est hors de question d’interdire les sorties, ce qui serait à l’encontre de la Charte des droits et libertés de la personne. »

Au syndicat des Travailleu­rs unis de l’alimentati­on (TUAC), qui représente des travailleu­rs étrangers dans le secteur maraîcher, on a aussi observé ce phénomène. Le responsabl­e Julio Lara a dû intervenir auprès d’un employeur après que des travailleu­rs ont été suspendus pour des déplacemen­ts à l’extérieur de la ferme.

À l’UPA, on ne rapporte aucun cas de COVID-19 chez les travailleu­rs étrangers temporaire­s depuis leur arrivée au Québec en avril.

Selon nos informatio­ns, un travailleu­r étranger a été testé pour la première fois cette semaine en Montérégie pour des symptômes apparentés à la COVID-19. Au moment où ces lignes étaient écrites, il n’avait pas encore reçu les résultats.

En Ontario, 40 travailleu­rs d’un même producteur ont été déclarés positifs cette semaine à Kent Bridge. Des cas de contaminat­ion ont aussi été rapportés dans une pépinière en Colombie-Britanniqu­e au début du mois d’avril.

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