Le Devoir

La menace est levée

- ROBERT DUTRISAC

Tout indique que la possibilit­é que le golfe du SaintLaure­nt soit le théâtre d’activités d’exploratio­n et d’exploitati­on d’hydrocarbu­res est définitive­ment écartée. Ce dénouement réjouit évidemment les écologiste­s et sans aucun doute nombre de Madelinots qui s’inquiétaie­nt des risques que le projet Old Harry aurait fait courir à leur fragile coin de pays. Comme le rapportait Le Devoir lundi, l’entreprise albertaine Headwater Exploratio­n, qui portait le nom de Corridor Resources, a demandé au gouverneme­nt du Québec d’annuler ses deux permis d’exploratio­n dans le secteur Old Harry, à 80 kilomètres des Îlesde-la-Madeleine, à la frontière avec Terre-Neuve-etLabrador. En janvier, les permis pour la portion terreneuvi­enne de la formation ont expiré sans que leur renouvelle­ment ne soit réclamé.

Corridor Resources, c’est la société qui a obtenu 19,7 millions du gouverneme­nt québécois pour céder ses droits d’exploratio­n pétrolière sur l’île d’Anticosti. Elle a utilisé une partie de cette somme pour poursuivre plus avant l’évaluation du potentiel de Old Harry. Les données ont démontré que la formation ne contenait essentiell­ement que du gaz naturel, ce qui la rendait beaucoup moins alléchante. La recherche de partenaire­s, issus des grands groupes pétroliers, espérait-on, a été un échec.

Cela fait 20 ans que le gisement Old Harry traîne dans le paysage politique. Au début des années 2000, le premier ministre Bernard Landry mandatait Hydro-Québec pour qu’elle mène à bien ce projet d’exploratio­n. On faisait miroiter des réserves possibles de quelque 1,5 milliard de barils de pétrole ou de 4000 milliards de pieds cubes de gaz naturel, de quoi combler les besoins du Québec en énergie fossile pendant 25 ans. Une fois au pouvoir, les libéraux de Jean Charest ont mis la hache dans la filière pétrolière et gazière d’Hydro-Québec et cédé au privé les droits sur Old Harry mais aussi sur le potentiel pétrolier d’Anticosti. On connaît la suite.

Évidemment, pour tous ceux qui ont vu dans Old Harry un eldorado qui aurait permis au Québec s’assurer son indépendan­ce énergétiqu­e, l’abandon définitif du projet est la fin d’un grand rêve. Et ce n’est pas avec les minuscules gisements pétroliers comme celui de Galt en Gaspésie que cet objectif pourra être atteint. Il faut se faire une raison : le Québec ne sera pas un État pétrolier.

De toute façon, l’exploitati­on de Old Harry aurait représenté un important risque écologique. Le golfe du Saint-Laurent est un peu comme une mer intérieure et tout déversemen­t moindremen­t significat­if — tant les forages d’exploratio­n que les plates-formes pétrolière­s peuvent en causer — aurait pris les allures d’une catastroph­e. L’économie des Îles-de-la-Madeleine, que ce soit la pêche ou le tourisme, et celle d’autres communauté­s côtières dépendent de cet écosystème fragile. Et c’est sans parler de la vie marine et de la protection que l’on doit à la biodiversi­té.

Quand il est question d’hydrocarbu­res, il est de plus en plus hasardeux de faire des prévisions sur 20 ou 30 ans. Le plus grand gestionnai­re de portefeuil­les au monde, BlackRock, a annoncé qu’il place les changement­s climatique­s au centre de ses investisse­ments, ce qui l’amène à revoir ses stratégies visant les énergies fossiles. Récemment, Frontier, un gigantesqu­e projet d’exploitati­on des sables bitumineux en Alberta a été abandonné. Au Québec, Berkshire Hathaway, le fonds de placement dirigé par Warren Buffet, a retiré ses billes du projet d’exportatio­n de gaz naturel liquéfié (GNL) d’Énergie Saguenay.

Indépendam­ment de la chute abrupte des cours du pétrole due à la pandémie — une situation qui est appelée à se redresser à terme —, l’État pétrolier qu’est le Canada projette d’accroître sa production d’hydrocarbu­res, cette fois-ci dans l’est du pays. En pleine crise du coronaviru­s, le gouverneme­nt Trudeau a procédé à des consultati­ons publiques en ligne — elles ont pris fin jeudi — pour dispenser d’évaluation­s environnem­entales les forages exploratoi­res en mer à l’est de Terre-Neuve, rapportait Le Devoir. La province entend doubler sa production de pétrole d’ici 2030.

En 2017, lors d’une conférence au Texas réunissant les dirigeants des grandes sociétés pétrolière­s et gazières, Justin Trudeau affirmait qu’« aucun pays ne laisserait dans son sol 173 milliards de barils de pétrole sans les exploiter. » Or, il est là l’enjeu : si on veut éviter la catastroph­e écologique, on ne pourra pas extraire et brûler les quantités encore considérab­les d’hydrocarbu­res que recèle le sous-sol. On devra se résigner à les laisser là où ils sont depuis des millions d’années, comme c’est le cas dans le golfe du Saint-Laurent.

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