La menace est levée
Tout indique que la possibilité que le golfe du SaintLaurent soit le théâtre d’activités d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures est définitivement écartée. Ce dénouement réjouit évidemment les écologistes et sans aucun doute nombre de Madelinots qui s’inquiétaient des risques que le projet Old Harry aurait fait courir à leur fragile coin de pays. Comme le rapportait Le Devoir lundi, l’entreprise albertaine Headwater Exploration, qui portait le nom de Corridor Resources, a demandé au gouvernement du Québec d’annuler ses deux permis d’exploration dans le secteur Old Harry, à 80 kilomètres des Îlesde-la-Madeleine, à la frontière avec Terre-Neuve-etLabrador. En janvier, les permis pour la portion terreneuvienne de la formation ont expiré sans que leur renouvellement ne soit réclamé.
Corridor Resources, c’est la société qui a obtenu 19,7 millions du gouvernement québécois pour céder ses droits d’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti. Elle a utilisé une partie de cette somme pour poursuivre plus avant l’évaluation du potentiel de Old Harry. Les données ont démontré que la formation ne contenait essentiellement que du gaz naturel, ce qui la rendait beaucoup moins alléchante. La recherche de partenaires, issus des grands groupes pétroliers, espérait-on, a été un échec.
Cela fait 20 ans que le gisement Old Harry traîne dans le paysage politique. Au début des années 2000, le premier ministre Bernard Landry mandatait Hydro-Québec pour qu’elle mène à bien ce projet d’exploration. On faisait miroiter des réserves possibles de quelque 1,5 milliard de barils de pétrole ou de 4000 milliards de pieds cubes de gaz naturel, de quoi combler les besoins du Québec en énergie fossile pendant 25 ans. Une fois au pouvoir, les libéraux de Jean Charest ont mis la hache dans la filière pétrolière et gazière d’Hydro-Québec et cédé au privé les droits sur Old Harry mais aussi sur le potentiel pétrolier d’Anticosti. On connaît la suite.
Évidemment, pour tous ceux qui ont vu dans Old Harry un eldorado qui aurait permis au Québec s’assurer son indépendance énergétique, l’abandon définitif du projet est la fin d’un grand rêve. Et ce n’est pas avec les minuscules gisements pétroliers comme celui de Galt en Gaspésie que cet objectif pourra être atteint. Il faut se faire une raison : le Québec ne sera pas un État pétrolier.
De toute façon, l’exploitation de Old Harry aurait représenté un important risque écologique. Le golfe du Saint-Laurent est un peu comme une mer intérieure et tout déversement moindrement significatif — tant les forages d’exploration que les plates-formes pétrolières peuvent en causer — aurait pris les allures d’une catastrophe. L’économie des Îles-de-la-Madeleine, que ce soit la pêche ou le tourisme, et celle d’autres communautés côtières dépendent de cet écosystème fragile. Et c’est sans parler de la vie marine et de la protection que l’on doit à la biodiversité.
Quand il est question d’hydrocarbures, il est de plus en plus hasardeux de faire des prévisions sur 20 ou 30 ans. Le plus grand gestionnaire de portefeuilles au monde, BlackRock, a annoncé qu’il place les changements climatiques au centre de ses investissements, ce qui l’amène à revoir ses stratégies visant les énergies fossiles. Récemment, Frontier, un gigantesque projet d’exploitation des sables bitumineux en Alberta a été abandonné. Au Québec, Berkshire Hathaway, le fonds de placement dirigé par Warren Buffet, a retiré ses billes du projet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) d’Énergie Saguenay.
Indépendamment de la chute abrupte des cours du pétrole due à la pandémie — une situation qui est appelée à se redresser à terme —, l’État pétrolier qu’est le Canada projette d’accroître sa production d’hydrocarbures, cette fois-ci dans l’est du pays. En pleine crise du coronavirus, le gouvernement Trudeau a procédé à des consultations publiques en ligne — elles ont pris fin jeudi — pour dispenser d’évaluations environnementales les forages exploratoires en mer à l’est de Terre-Neuve, rapportait Le Devoir. La province entend doubler sa production de pétrole d’ici 2030.
En 2017, lors d’une conférence au Texas réunissant les dirigeants des grandes sociétés pétrolières et gazières, Justin Trudeau affirmait qu’« aucun pays ne laisserait dans son sol 173 milliards de barils de pétrole sans les exploiter. » Or, il est là l’enjeu : si on veut éviter la catastrophe écologique, on ne pourra pas extraire et brûler les quantités encore considérables d’hydrocarbures que recèle le sous-sol. On devra se résigner à les laisser là où ils sont depuis des millions d’années, comme c’est le cas dans le golfe du Saint-Laurent.