Le Devoir

Le personnel soignant doit être mieux protégé

- Laurence Bernard, Amélie Perron, Dave Holmes et Agnès Bernard *

Ces dernières semaines ont montré que le Québec est mal préparé pour faire face à une pandémie telle que celle engendrée par le virus SRAS-CoV-2. Le réseau de santé était déjà sous pression constante face aux multiples réorganisa­tions opérées depuis une vingtaine d’années pour tendre vers une rationalis­ation des dépenses et une optimisati­on des services. La santé publique elle-même a été affectée par ces réorganisa­tions. Certains modèles importés de l’industrie, tel le toyotisme, se répercuten­t négativeme­nt sur notre système : il est convenu par beaucoup que nous devons en faire toujours plus avec moins. L’austérité n’a pas seulement contraint notre capacité à donner des soins en temps normal, mais aussi à prévenir une pandémie et à constituer des réserves suffisante­s de matériel de protection. L’austérité a également réduit les possibilit­és de financemen­t de la recherche en prévention des infections.

Une culture préventive devait pourtant être renforcée à la suite des éclosions et des pandémies précédente­s telles que le SRAS en 2003 et le H1N1 en 2009. De nombreux scientifiq­ues avaient alerté les gouverneme­nts précédents et publié à ce sujet des recommanda­tions qui ont été peu ou pas prises en compte. Malheureus­ement, en l’absence d’une approche capacitair­e, les interventi­ons actuelles misent sur l’atténuatio­n des conséquenc­es de la pandémie : nous sommes en mode de gestion de cette crise plutôt qu’en mode prévention.

Nous devons sortir de cette culture du blâme et mieux apprécier les risques biologique­s auxquels les profession­nels de la santé sont exposés dans leur travail quotidien

Culture du blâme

La présence inégale d’une culture de sécurité au sein des établissem­ents de santé met au jour des failles importante­s en termes de prévention des infections. La culture du blâme et de l’enquête individuel­le accusant des profession­nels de la santé quant à leur manque de respect des mesures de prévention des infections est encore trop souvent utilisée. Nous devrions pourtant miser sur la collaborat­ion et sur une prise en charge collective en prévention des infections.

Présenteme­nt, un établissem­ent dans lequel une infirmière contracte une infection sur son unité ne reconnaît pas automatiqu­ement cette infection comme maladie acquise sur le lieu de travail. Alors que les infirmière­s, comme nombre d’autres profession­nels de la santé, font quotidienn­ement face à de nombreux risques biologique­s dans le cadre de leurs fonctions, singulière­ment ces risques doivent continuell­ement être démontrés. Ainsi, il revient au profession­nel de prouver qu’il a contracté cette infection sur son lieu de travail, et dans le cadre de son travail, et non pas autre part dans la communauté, ce qui peut être extrêmemen­t difficile à démontrer. De nombreux témoignage­s indiquent par ailleurs que si l’infirmière contracte une maladie, elle sera pointée du doigt pour son manque de respect des mesures de prévention des infections ou de son port inadéquat de l’équipement de protection individuel. Le contexte organisati­onnel (ex : surcharge de travail, épuisement profession­nel, manque d’équipement, etc.) qui complique fortement le respect des normes en matière de prévention des infections disparaît, laissant l’infirmière comme seule responsabl­e de la situation.

En contexte de l’actuelle pandémie, quels seront les effets d’une telle approche sur les droits de profession­nels soignants déjà fortement éprouvés physiqueme­nt et mentalemen­t ?

Nous devons sortir de cette culture du blâme et mieux apprécier les risques biologique­s auxquels les profession­nels de la santé sont exposés dans leur travail quotidien. Il est anormal que, traditionn­ellement, le secteur de la santé et de la sécurité au travail (CNESST, ASSTSAS, etc.) aborde peu ces risques pour les profession­nels de la santé, ou de façon plus restreinte autour de la matério-vigilance et de la vaccinatio­n. La pandémie met en évidence le fait qu’une meilleure reconnaiss­ance des risques biologique­s encourus par les infirmière­s et les autres personnels soignants est impérative.

Les profession­nels de la santé ne devraient pas rentrer chez eux la peur au ventre à l’idée de contaminer leurs familles. Ils ne devraient pas non plus faire face à des menaces, du harcèlemen­t, du vandalisme ou des évictions par des membres de la population qui les perçoivent comme des agents de propagatio­n de l’infection.

Tirer des leçons

Redonnons le pouvoir de la parole aux infirmière­s et aux profession­nels de la santé. Elles sont très silencieus­es, non pas par obéissance, mais par peur de représaill­es, tenues légalement par des ententes de confidenti­alité. Le devoir de loyauté envers l’État ne devrait pas nous mener [...] jusque dans nos tombes après avoir contracté la COVID-19. Par souci de transparen­ce, l’État devrait aussi publier le nombre de profession­nels infectés, hospitalis­és ou décédés.

L’État avait un devoir de préparatio­n suffisant et aurait pu bâtir des capacités ces vingt dernières années. Nous faisons maintenant face à une réaction en chaîne bien décrite par James Reason, qui permet actuelleme­nt qu’une infirmière soit exposée à des risques biologique­s importants faute de barrières de sécurité suffisante­s. Si l’on veut tirer des leçons durables de la pandémie, il faudra dès à présent assurer de l’équipement de protection en quantité suffisante pour protéger les personnes les plus à risque de contracter et de transmettr­e une infection. Il faudra changer la culture de blâme qui sévit dans le réseau de la santé, qui fait porter aux profession­nels de la santé une responsabi­lité disproport­ionnée des ratés de la gestion ultra-rationalis­ée des 20 dernières années. Il faudra également reconnaîtr­e la valeur des témoignage­s du personnel soignant, qui peut apprécier mieux que quiconque la réelle efficacité des politiques de prévention mises en place.

* Tous infirmière­s ou infirmier, respective­ment professeur­e agrégée, Faculté des sciences infirmière­s, Université de Montréal ; professeur­e agrégée, École des sciences infirmière­s, Université d’Ottawa ; professeur titulaire, École des sciences infirmière­s, Université d’Ottawa ; analyste consultée, Belgique.

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