Le Devoir

Triste fête des Travailleu­rs, l’analyse d’Éric Desrosiers

- ÉRIC DESROSIERS

On se souviendra longtemps de cette fête du 1er mai à l’ère du coronaviru­s ! Selon le plus récent portrait d’ensemble de la situation dressé par l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT), plus des deux tiers des travailleu­rs dans le monde vivent dans un pays où la fermeture des lieux de travail est recommandé­e ou obligatoir­e, provoquant un recul moyen de 10,5 % du total d’heures travaillée­s équivalant à 305 millions d’emplois à temps plein.

Les travailleu­rs les plus modestes et les plus vulnérable­s comptent parmi les plus touchés, à commencer par les 2 milliards qui oeuvrent dans l’économie informelle et représente­nt 20 % de la main-d’oeuvre dans les pays riches, mais près de 90 % de celle des pays pauvres. Moins bien protégés que les autres — sinon pas protégés du tout — par des convention­s collective­s, des normes du travail et le filet social, ils pourraient ainsi voir ceux d’entre eux qui vivent sous le seuil de la pauvreté relative (moins de 50 % du revenu médian) passer de 28 % à 80 % dans les pays riches.

Les premiers coups de sonde de Statistiqu­e Canada sur le sujet allaient dans le même sens. Menée au tout début de la crise de la COVID-19 (15 au 21 mars), son enquête avait révélé, entre autres, que la moitié du recul de l’emploi était essuyée par des personnes gagnant moins des deux tiers du salaire horaire médian et que la proportion de travailleu­rs temporaire ayant à perdre leur emploi (15,8 %) était trois fois plus élevée que celle des travailleu­rs permanents (5,3 %).

Bien sûr, certains gouverneme­nts déploient des efforts considérab­les, notamment financiers, pour amortir autant que possible la chute des travailleu­rs et des entreprise­s touchés par la pandémie et les mesures de confinemen­t. Ceux qui semblent le faire avec le moins de difficulté et le plus de succès, observait, la semaine dernière, l’OIT dans un autre rapport, sont ceux qui n’ont pas été obligés de tout inventer dans l’urgence, mais qui pouvaient déjà compter sur un bon filet social et une culture du dialogue entre les principaux acteurs de la société.

Ces qualités n’ont pas fini d’être sollicitée­s, alors que plusieurs gouverneme­nts, dont celui du Québec, amorcent le déconfinem­ent de leurs économies, que peu d’experts croient encore qu’un rebond rapide est possible et que plusieurs craignent, au contraire, d’autres vagues de contaminat­ion qui nous forceraien­t à faire du « stop-and-go ». Or, plus cette crise économique s’aggravera et se prolongera, plus les dommages qu’elle infligera seront grands, particuliè­rement pour les travailleu­rs les plus modestes, a rappelé mercredi le président de la Réserve fédérale américaine, Jerome Powell.

En cette Journée internatio­nale des travailleu­rs, une attention particuliè­re pourrait être portée au rôle que les syndicats et la négociatio­n collective peuvent jouer non seulement dans la difficile relance économique qui s’amorcera un jour, mais plus généraleme­nt dans l’améliorati­on continue des conditions de travail et de la compétitiv­ité des entreprise­s. Dans un rapport de presque 300 pages publié cet automne, l’OCDE observait, en effet, qu’en plus d’être des droits essentiels, les droits d’associatio­n et de négocier collective­ment s’avèrent, lorsqu’ils sont exercés dans un climat « de confiance, d’inclusivit­é et de flexibilit­é », l’un des meilleurs moyens de trouver des façons de « faire face aux évolutions démographi­ques et technologi­ques et [de] s’adapter au nouveau monde du travail » tout en tenant compte de la situation conjonctur­elle et des réalités particuliè­res.

Malheureus­ement, déplorait l’OCDE, le taux de syndicalis­ation dans les pays développés a fondu de moitié depuis le milieu des années 1980, chutant de 32 % à seulement 16 %. Petite consolatio­n, cette présence syndicale est encore de 38 % au Québec, contre 26 % en Ontario et moins de 15 % dans la grande majorité des États américains.

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RENAUD PHILIPPE LE DEVPOIR

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