Ottawa interdit les armes d’assaut
Les propriétaires pourront néanmoins se prévaloir d’un droit acquis pour se soustraire au futur programme fédéral de rachat
Justin Trudeau interdit, comme promis, les armes d’assaut de style militaire au pays. Mais cette interdiction est accompagnée d’une amnistie de deux ans pour les propriétaires actuels de ces armes, et même après cette période, ils auraient le droit de les conserver grâce à une disposition de droits acquis.
Plus de 1500 modèles et variantes d’armes d’assaut ont été ajoutés à la liste d’armes prohibées au Canada vendredi. Ces armes utilisées lors des tueries de Polytechnique, au collège Dawson ou encore à la mosquée de Québec, notamment, ne peuvent plus être utilisées, vendues, achetées, transportées ou importées au Canada.
« Ces armes n’ont été conçues qu’à une seule et unique fin : tuer le plus grand nombre de personnes le plus rapidement possible. Elles n’ont aucune utilité. Et elles n’ont pas leur place chez nous », a tranché le premier ministre, en procédant à une annonce politique pour la première fois depuis le début de la pandémie.
Bien que l’interdiction soit entrée en vigueur dès vendredi, le gouvernement libéral donne aux propriétaires actuels de ces armes jusqu’au 30 avril 2022 pour s’y conformer. Le temps de cette amnistie, les communautés autochtones et ceux qui chassent pour se nourrir pourront continuer d’utiliser leurs armes.
Par la suite, les propriétaires pourront se prévaloir d’un programme de rachat que promet de mettre sur pied le gouvernement. Mais celui-ci serait volontaire. Si certains propriétaires ne veulent toujours pas céder leurs armes dans deux ans, ils pourront malgré tout les conserver à certaines conditions en vertu du plan prévu par le gouvernement.
Une nuance que n’a pas dévoilée M. Trudeau en point de presse. « Tout est encore en train d’être fignolé », s’est-il contenté d’affirmer au sujet du futur programme de rachat.
Ce sont plutôt ses fonctionnaires qui ont révélé que les propriétaires d’armes auront le choix : « Ils pourront soit obtenir un droit acquis visant l’arme à feu concernée, soit être indemnisés s’ils remettent cette arme à feu », ontils précisé lors d’une séance d’information pour les médias.
Pourtant, les libéraux s’étaient engagés en campagne électorale l’an dernier à interdire ces armes, mais aussi à créer « un programme de rachat pour toutes les armes d’assaut de style militaire achetées légalement au Canada ». Ils avaient budgété 200 millions de dollars pour ce faire. Or, si le gouvernement peut interdire ces armes dès maintenant par voie réglementaire, le programme de rachat doit quant à lui être créé par l’adoption d’une nouvelle loi, ce qui se fera lorsque le Parlement recommencera à siéger de façon régulière après la pandémie.
En fin de journée, le gouvernement a justement tenté d’ajuster le tir et plaidé qu’il étudiait « différentes options » puisqu’il doit encore obtenir l’appui de l’opposition pour faire adopter son programme de rachat.
Déception des deux côtés
Mais l’exception prévue pour les propriétaires existants de ces armes n’est qu’une « déception de plus » pour la survivante et porte-parole de PolySeSouvient, Nathalie Provost.
« Cela pourrait signifier que les dizaines de milliers d’armes d’assaut resteront entre les mains de leurs propriétaires actuels pendant des générations », a-t-elle déploré.
Le groupe juge que la liste d’armes prohibées est complète, mais qu’un programme de rachat volontaire représente « une énorme concession pour le lobby des armes ».
La Coalition canadienne pour le droit des armes à feu est cependant tout aussi mécontente. « C’est la réglementation des armes à feu la plus radicale et catastrophique », a dénoncé Tracey Wilson, en se disant étonnée par l’ampleur de la liste d’armes prohibées. Mme Wilson a donné raison à ses opposants, en prédisant que plusieurs propriétaires d’armes se prévaudront de la disposition de droits acquis en espérant voir le Parti conservateur être réélu et annuler ces changements.
Le chef conservateur, Andrew Scheer, a sans surprise critiqué l’annonce de M. Trudeau, en l’accusant de réglementer le contrôle des armes à feu par voie réglementaire sans consulter le Parlement. « Justin Trudeau utilise la pandémie actuelle et l’émotion provoquée par l’horrible attaque commise en Nouvelle-Écosse pour promouvoir l’ordre du jour idéologique des libéraux et apporter des changements majeurs à la politique sur les armes à feu », a-t-il en outre reproché.
M. Scheer a rappelé que le tireur qui a fait 22 victimes en Nouvelle-Écosse il y a deux semaines s’était procuré ses armes de façon illégale. Le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, a noté que ces armes figurent toutefois parmi la liste d’armes prohibées vendredi. « Toutes les armes sont au départ légales et aboutissent dans un marché illégal », a argué le ministre.
Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique se sont dits favorables à l’interdiction d’armes d’assaut de type militaire.
Le concept d’armes d’assaut n’est pas défini dans la Loi sur les armes à feu, mais les gens qui l’utilisent désignent en général des armes à l’allure militaire pouvant décharger en tirs rapides plusieurs projectiles. La liste d’armes nouvellement prohibées a été dressée par la GRC, puis approuvée par le gouvernement.
Le gouvernement ne sait pas dire combien de ces armes sont détenues au pays. Il y a environ 105 000 armes à feu à autorisation restreinte, mais certaines des armes prohibées vendredi étaient jusqu’à présent « sans restriction » et le registre des armes d’épaule a été aboli par les conservateurs, ce qui fait qu’elles ne sont pas enregistrées, ont expliqué des fonctionnaires.