Un quart des voyageurs malades venaient des États-Unis
Le coronavirus qui s’est infiltré au Québec provient en bonne partie des États-Unis, et non de la Chine. Un quart des quelque 1620 voyageurs déclarés positifs à la COVID-19 revenaient d’un séjour chez notre voisin nord-américain, tandis qu’une seule personne infectée venait de la république asiatique, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) obtenues par Le Devoir.
Depuis plusieurs semaines, l’essentiel des nouveaux cas déclarés dans la province sont imputables à la transmission communautaire. Toutefois, les cas venus de l’étranger et d’ailleurs au Canada revêtent une importance particulière, car ce sont eux qui ont mis le feu aux poudres au mois de mars.
Ainsi, selon les informations du MSSS, 25 % des voyageurs déclarés positifs à la COVID-19 au Québec avaient séjourné aux États-Unis, 18 % revenaient d’ailleurs au Canada, et 16 % avaient visité l’Europe (surtout la France, l’Espagne et la Suisse). Par ailleurs, 11 % des voyageurs infectés s’étaient rendus dans « plus d’un pays », sans qu’on en sache davantage sur leur itinéraire.
Les données du ministère montrent aussi qu’au Québec, les craintes de contagion que suscitent les personnes d’origine asiatique sont sans fondement. Un mince 0,07 % des voyageurs ayant reçu un diagnostic positif de COVID-19 avait visité la Chine. En considérant le nombre total de cas confirmés dans la province (28 648, en date de vendredi), il s’agit d’une seule personne (et pas forcément chinoise, de surcroît). Idem pour l’Indonésie, le Japon et la Thaïlande, qui comptent chacun un seul voyageur infecté.
« C’est vraiment important de ne pas stigmatiser les communautés », commente Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Il y a quelques semaines, son organisme avait soulevé des préoccupations quant au racisme que subissent les personnes d’origine asiatique dans le contexte de la pandémie.
Mise au fait de l’origine des voyageurs malades de la COVID-19, Mme Pierre insiste sur le fait que l’itinéraire de chaque visiteur ne dit rien sur son origine ethnique. « Ce serait un peu réducteur de se baser uniquement sur ces chiffres pour faire une lecture de la situation, dit-elle. Il faut y aller de prudence. »
Rappelons que les vols entre la Chine et le Canada ont été grandement réduits depuis la fin janvier, quand Ottawa a recommandé d’éviter les voyages non essentiels en Chine continentale. Cette décision survenait après la découverte du premier cas canadien suspecté (et plus tard confirmé) de COVID-19, un quinquagénaire de Toronto revenant d’un séjour dans la région de Wuhan.
Alors que l’épidémie prenait une tournure planétaire, à la mi-mars, le gouvernement canadien annonçait la fermeture des frontières du pays aux visiteurs étrangers, à l’exception des Américains, dès le 18 mars. Tous les voyageurs arrivant au Canada se voyaient aussi recommander de s’isoler pendant les 14 jours suivant leur entrée au pays. La frontière canadoaméricaine a quant à elle été fermée à l’essentiel du trafic le 21 mars. La recommandation d’isolement pour les voyageurs de retour au pays est devenue obligatoire le 26 mars.
Évidemment, si le nombre de cas chez les personnes ayant visité les États-Unis est élevé, c’est aussi parce qu’il y a énormément de déplacements vers et depuis ce pays. En 2019, 53 % des voyages à l’étranger d’une nuit ou plus effectués par des Canadiens ont eu lieu aux États-Unis. Le RoyaumeUni, la Chine, la France et le Mexique figurent aussi parmi les destinations les plus fréquemment visitées par les Canadiens.
Éclairage scientifique
En parallèle des informations sur l’origine des voyageurs infectés, des scientifiques tentent aussi de comprendre le chemin qu’a parcouru le SRAS-CoV-2 avant d’atterrir au Québec. Pour cela, ils vont déchiffrer le génome d’échantillons de virus prélevés chez des malades québécois dans le cadre d’un projet de recherche mis en branle il y a quelques jours sous l’égide de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et du Centre de génomique de l’Université McGill.
« Grâce au séquençage, on devrait savoir si le virus qu’on retrouve ici ressemble aux souches qui circulent dans l’État de Washington, de New York, en Chine ou en Europe, par exemple », explique Jesse Shapiro, un professeur de biologie à l’Université de Montréal qui se joindra bientôt à l’Université McGill. Il fait partie de l’équipe responsable du séquençage des échantillons.
Le coronavirus est une petite machine biochimique programmée pour créer des copies d’elle-même. Son génome est constitué de 30 000 nucléotides — dénotés A, C, G, U — qui encodent l’ensemble de sa structure. Chaque copie du coronavirus peut différer de la précédente à cause d’erreurs dans la transcription. Dans de nombreux cas, ces mutations ne changent en rien la capacité du virus à poursuivre son oeuvre. Elles restent donc inscrites dans son patrimoine génétique.
Déjà, des chercheurs en génomique ont séquencé le SRAS-CoV-2 qu’on retrouve en circulation dans plusieurs pays du monde. En comparant les mutations de chaque spécimen, ils arrivent à recréer le grand arbre généalogique du virus depuis son apparition en décembre dernier, à Wuhan. En ajoutant une branche québécoise à cet arbre, les chercheurs pourront savoir si le coronavirus qui circule dans la province est bel et bien passé par les États-Unis, comme le suggère le grand nombre de voyageurs infectés ayant visité ce pays.
D’autres questions trouveront une réponse. Combien d’introductions différentes y a-t-il eu au Québec ? La souche la plus abondante provient-elle des premiers moments de l’épidémie, ou est-elle arrivée plus tardivement ? « Ça pourra même nous donner une idée de quelles mesures de restriction de voyage ou de quarantaine ont été efficaces », indique M. Shapiro.
Le séquençage génomique du SRASCoV-2 permettra aussi aux autorités sanitaires de mieux comprendre la transmission du virus à l’intérieur de la population. En analysant plusieurs échantillons dans un milieu de vie où l’on constate une éclosion — un CHSLD, par exemple —, il sera possible de savoir si une ou plusieurs introductions sont en cause. Dans un cas ou l’autre, « ce ne sera peut-être pas les mêmes solutions que l’on appliquera », détaille dans un courriel Sandrine Moreira, spécialiste de génomique à l’INSPQ et coordonnatrice du projet de séquençage.
Les scientifiques du projet de l’INSPQ et de McGill ont déjà séquencé une centaine d’échantillons et effectuent présentement des analyses. Des résultats préliminaires devraient être prêts d’ici deux à quatre semaines, selon M. Shapiro.
Grâce au séquençage, on devrait savoir si le virus qu’on retrouve ici ressemble aux souches qui circulent dans l’État de Washington, de New York, en Chine ou en Europe, par exemple