Le Devoir

Des CHSLD où ça va bien

- MARIE-EVE COUSINEAU

C’est devenu une routine, un rituel presque. Chaque jour, vers 16 h 30, Réal Vadnais se rend au CHSLD Docteur-Aimé-Leduc, à Salaberry-de-Valleyfiel­d, pour aider son épouse, atteinte de la maladie d’Alzheimer, à manger son repas du soir. Depuis un mois et demi, il reste chez lui. Impossible d’aller la voir avec cette pandémie. « Mais il n’y a pas de cas de COVID-19 dans son CHSLD, souligne l’homme de 83 ans, en pleine forme. Ça me rassure beaucoup. »

Depuis le début du confinemen­t, Réal Vadnais reçoit régulièrem­ent des nouvelles de son épouse. « Une fois, l’infirmière a dit à ma femme “c’est votre mari au téléphone”, raconte-til. Elle m’a ensuite dit que ma femme avait fait un beau sourire. » Au téléphone, un silence. « C’est bouleversa­nt, tout ça. »

Au Québec, la COVID-19 s’est propagée dans 176 des 412 CHSLD, selon le dernier bilan du ministère de la Santé et des Services sociaux. Elle y a fait 1398 victimes (données de samedi).

Une pandémie dans la pandémie, devenue le triste symbole de ce virus sournois et impitoyabl­e. Mais cette sombre réalité en cache une autre, moins morose, ou osons-le dire, plus rose. Dans la majorité des CHSLD de la province, la digue a tenu. La COVID-19 ne s’est pas infiltrée. Du moins, jusqu’à présent. Derrière leur masque, les employés retiennent leur souffle.

« On croise les doigts tous les jours », dit Jade St-Jean, porte-parole du CISSS de la Montérégie-Ouest. Il n’y a aucun cas dans les 11 CHSLD du territoire, qui s’étend de Vaudreuil-Dorion à Napiervill­e, en passant par Châteaugua­y et Huntingdon. Des résidents attendent toutefois les résultats de tests de dépistage.

Au CISSS de la Montérégie-Ouest, le personnel fait tout pour que la croisière s’amuse. Enfin, dans les circonstan­ces. « Dans un de nos CHSLD, on a organisé une journée western, dit Éric Gagné, conseiller-cadre, milieux de vie. Les employés avaient mis un chapeau de cowboy, en plus de leur jaquette et de leur masque. Ils avaient mis des moustaches sur leur visière. » Les résidents ont ri.

« Ils peuvent trouver difficile d’avoir des intervenan­ts masqués, dit-il. On s’est toujours donné comme mandat de ne pas amener d’anxiété au sein de la clientèle. »

Au CHSLD La Prairie, dans la ville du même nom, le stationnem­ent en « U » devant l’entrée s’est transformé en arc-en-ciel géant. Un moyen de conjurer le sort ? Plutôt un cadeau de la communauté, qui a peint le bitume, pour égayer le quotidien des confinés, esseulés. « C’est un beau baume pour l’ensemble du centre d’hébergemen­t », dit Éric Gagné.

La clé du succès ?

Le CISSS de la Montérégie-Ouest n’ose pas trop s’avancer sur la recette de son succès. La menace plane toujours. La direction dit avoir implanté rapidement et rigoureuse­ment les directives gouverneme­ntales, comme l’interdicti­on des visites et la réorganisa­tion de la prise des repas. « Tout est mis en oeuvre pour stabiliser les employés dans une seule installati­on, et même la même unité, lorsque c’est possible », dit Jade St-Jean.

Actuelleme­nt, 32 des 10 000 employés du CISSS ont reçu un diagnostic de COVID-19, précise-t-elle. Dimanche, la Montérégie au grand complet cumulait 3733 personnes infectées, soit quatre fois moins que la région de Montréal.

Quand le virus va se remettre à circuler dans notre région, il y a toujours un risque que des gens asymptomat­iques se rendent en CHSLD SYLVAIN LEDUC »

Le Bas-Saint-Laurent, lui, compte uniquement 36 cas. Les CHSLD ont aussi été épargnés. « À partir du moment où le virus circule moins dans la communauté, le risque qu’il pénètre dans les CHSLD diminue », remarque le Dr Sylvain Leduc, directeur de la santé publique dans cette région.

Si le virus circule peu au Bas-SaintLaure­nt, c’est grâce à la « forte adhésion » de la population à la distanciat­ion physique et à l’instaurati­on de barrages routiers, croit le Dr Leduc. La réouvertur­e des frontières régionales, le 18 mai, posera des défis, selon lui. « Quand le virus va se remettre à circuler dans notre région, il y a toujours un risque que des gens asymptomat­iques se rendent en CHSLD », dit-il.

Sur la Côte-Nord, les CHSLD ont aussi bénéficié de la fermeture des frontières régionales. Aucun cas, là non plus. Dans la région, 113 personnes, dont une quarantain­e dans un pénitencie­r, ont contracté la COVID-19. Selon le Dr Donald Aubin, directeur de la santé publique de la Côte-Nord, les employés en CHSLD sont « très méticuleux » dans l’applicatio­n des mesures sanitaires.

« Pour tous les travailleu­rs de CHSLD, il y a prise de températur­e et un questionna­ire à l’entrée du travail, précise-t-il. Dans la mesure du possible, on essaie d’éviter la main-d’oeuvre provenant de l’extérieur de la région. » Les soignants venant d’ailleurs doivent s’isoler de façon préventive pendant 7 à 14 jours, ajoute-t-il, « lorsque c’est possible ».

Au CISSS de la Montérégie-Ouest, pas question de baisser la garde. Cela n’empêchera pas les CHSLD d’accueillir bientôt des proches aidants. « Ils passeront des tests de dépistage dès lundi », dit Éric Gagné.

En attendant, les résidents pourront compter sur le soutien du personnel, promet-il. Un concert de guitare dans les couloirs, une « petite cochonneri­e » d’un dépanneur ambulant et pourquoi pas une partie de bingo, assis dans son fauteuil roulant, stationné dans le cadre de sa porte de chambre. Un brin de folie dans une période extraordin­aire, où les traditions les plus sacrées comme le bingo se réinventen­t. À au moins deux mètres de distance…

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