L’Amérique latine face à la COVID-19
Des brumes glacées d’Ushuaia, en Argentine, au désert brûlant et meurtrier de Ciudad Juárez, à la frontière États-Unis–Mexique, l’Amérique latine, comme le reste du monde, est frappée par la crise mondiale.
L’espoir existait, et existe toujours, que l’hémisphère Sud de la planète échappe au pire de la pandémie de coronavirus — du moins sur le plan strictement sanitaire. Un coup d’oeil sur les mappemondes « spécial COVID-19 » disponibles en ligne et continuellement mises à jour, montre qu’en ce début mai 2020, et en se fiant aux chiffres officiels diffusés par les États, le mal reste encore largement septentrional.
Le Québec, à lui seul, mais avec un décompte rigoureux et implacable qui n’a pas d’équivalent dans l’hémisphère Sud, rapporte presque autant de cas que l’Inde entière (160 fois plus peuplée)… et davantage de morts !
Mais des contre-exemples — et non des moindres — viennent tempérer cet espoir que l’Asie du Sud, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud échappent au pire de l’épidémie.
Le Brésil au temps de la COVID-19 est une catastrophe. Dans ce pays qui représente la moitié de l’Amérique du Sud, les médias rapportent ces jours-ci des histoires d’horreur : fosses communes, hôpitaux débordés, mais aussi des chiffres officiels qui n’ont qu’un lointain rapport avec la réalité.
Alors que les autorités donnaient environ, en date d’hier, 100 000 cas et 7000 morts de la COVID-19 au Brésil, des sources indépendantes disent qu’il faut multiplier le nombre de cas (avec symptômes) par dix, et le nombre de morts par au moins cinq !
Cette catastrophe est également politique. On y voit de troublantes similitudes avec les États-Unis : un président, Jair Bolsonaro, enfoncé dans le déni, qui s’oppose aux mesures officielles de son propre gouvernement, menant une guérilla aux États et aux municipalités… qui, elles, prennent la maladie au sérieux.
Comme aux États-Unis, le président dispose d’une base militante, parfois fanatisée, réduite par le discrédit d’un président erratique, mais toujours bien présente. Elle organise des manifestations contre les mesures de précaution anti-COVID, où le président fait parfois des apparitions… avec embrassades et accolades !
Dans ces deux grands pays des Amériques, on assiste à une crise sanitaire, mais également à un naufrage politique.
Le Brésil n’est pas le seul à avoir des dirigeants qui nient la crise, la minimisent ou regardent ailleurs.
Au Mexique, le président, Andrés Manuel López Obrador, a parlé d’une « petite crise passagère ». Lors d’une de ses conférences de presse, il a exhibé une amulette pour conjurer le mal. Et il a dit : « Serrez-vous les uns contre les autres, ça réconforte ! »
Là comme au Brésil ou aux États-Unis, les tours de piste fantaisistes d’un populiste pour qui la pandémie n’est qu’une distraction n’empêchent pas, heureusement, les autorités sanitaires du même pays de tenir un autre discours. Le Mexique a tout de même, comme le Brésil, un État capable de réagir, indépendamment des lubies du chef de l’exécutif.
Au Nicaragua, un autre dirigeant historique issu de la gauche a brillé par son absence et par son incohérence devant cette crise…
Tout au long des mois de mars et d’avril, le président Daniel Ortega, élu et réélu depuis 2007 en étouffant l’opposition, a disparu pendant de longues semaines, à la manière d’un Kim Jong-un. Début mars, avant de se retirer mystérieusement, il avait organisé une « grande marche de l’amour » dans les rues de Managua.
Ce petit pays n’a même pas, lui, d’autorités sanitaires autonomes, ou de gouvernements régionaux capables de prendre les choses en main. Au Salvador voisin, ce sont les gangs mafieux (Maras) qui font respecter les couvre-feux et les quarantaines — de la façon la plus brutale. Au Venezuela, avec une économie détruite par le chavisme, un système de santé en ruine et un État militaro-mafieux, le virus avance, mais on ne sait exactement ni où ni jusqu’à quel point.
Sous l’effet de cette nouvelle crise, l’immense sous-continent latino-américain, qui balance toujours entre dictature et démocratie, entre zigzags économiques et inégalités abyssales, voit aujourd’hui des caudillos de gauche et de droite bégayer devant ce grand défi.