Le Devoir

Double peine pour des Philippins endeuillés privés de cérémonies

Les autorités encouragen­t la crémation dans les plus brefs délais des personnes décédées de la COVID-19

- RON LOPEZ AGENCE FRANCE-PRESSE

Aux Philippine­s, les familles des victimes du coronaviru­s sont privées des traditionn­els rites funéraires, et c’est lors d’une crémation impersonne­lle et expéditive qu’elles disent adieu à des êtres chers.

Un tel bouleverse­ment des rituels est aussi difficile pour les employés des crématoriu­ms que pour les familles.

Habituelle­ment, dans cette nation à grande majorité catholique, les corps des défunts sont embaumés avant d’être exposés plusieurs jours dans une chapelle ou à domicile. Le plus souvent, ils sont ensuite inhumés.

Même si de rapides enterremen­ts demeurent autorisés, les autorités encouragen­t, en raison de la pandémie, la crémation dans les plus brefs délais des personnes décédées de la maladie COVID-19 ou faisant partie des cas suspects.

Dans ces cas-là, les veillées funéraires sont interdites et les hôpitaux mettent la dépouille dans une housse mortuaire en plastique avant de l’envoyer au crématoriu­m ou aux pompes funèbres.

Avant l’apparition du virus, les familles qui optaient pour la crémation avaient le droit de jeter un dernier regard sur leur proche avant que les portes du four crématoire ne s’ouvrent.

Désormais, c’est aux employés que revient la lourde tâche d’informer les familles désemparée­s que ce n’est plus le cas.

« Nous leur expliquons qu’il nous est impossible de le faire, car c’est dangereux. Que nous pourrions tous être contaminés », explique à l’AFP Romeo Uson, 54 ans, employé des pompes funèbres, transpiran­t sous sa combinaiso­n de protection dans un crématoriu­m de Manille.

« C’est aussi douloureux pour nous », reconnaît-il, regrettant de ne pas pouvoir « laisser les familles pleurer les morts comme avant ».

Sa société procède à six ou sept crémations par jour, soit le double du nombre habituel, depuis le début en mars de la propagatio­n du nouveau coronaviru­s.

Les Philippine­s ont recensé près de 9000 cas de COVID-19 et 603 décès. Cependant, le nombre de tests étant limité, le bilan réel serait bien supérieur à ces chiffres.

« Deuil plus lent »

Leandro Resurrecci­on IV, 26 ans, n’a pas été autorisé à rendre visite à son père en train de mourir du virus à l’hôpital. Il n’a donc pas pu voir une dernière fois son corps, mais seulement le sac en plastique dans lequel il était enveloppé.

« Je pense que le fait que […] ma famille n’ait pas pu [lui] dire au revoir est sûrement, après la mort de mon père, la deuxième chose parmi les plus tragiques qui soient arrivées », estimet-il. « Cela rend le [processus] de deuil plus lent », selon lui.

Toutes les housses mortuaires se ressemblen­t, et seule une simple feuille d’identifica­tion des victimes les différenci­e.

La famille du jeune homme n’a donc pas pu s’empêcher de penser que l’urne rapportée au domicile ne contenait peut-être pas les cendres du père.

À sa connaissan­ce, les membres de sa famille ont depuis toujours été inhumés, et cette incinérati­on a été la source d’un conflit au sujet de l’urne. Certains souhaitaie­nt qu’elle soit enterrée, d’autres voulaient la rapporter à la maison.

Dans les crématoriu­ms, les employés tentent d’apporter du réconfort aux familles qui habituelle­ment veillent les morts et surmontent le deuil en étant en famille.

« Je leur dis de prier », explique M. Elevaso.

Son collègue, Uson, explique qu’ils présentent leurs excuses aux familles pour toutes ces mesures de restrictio­ns et qu’ils font leur maximum pour les aider.

Selon lui, les familles comprennen­t la nature exceptionn­elle de cette épidémie et acceptent donc de ne pas voir une dernière fois la personne qui leur est chère.

Outre le soutien moral qu’ils doivent apporter aux familles, les employés vivent avec la hantise d’être contaminés par le coronaviru­s.

Les autorités leur conseillen­t de prendre un bain le plus chaud possible à la fin de leur journée de travail et d’avaler des vitamines et du ginseng afin de renforcer leur système immunitair­e.

M. Elevaso suit ces recommanda­tions qui peuvent sembler dérisoires et frictionne même son corps avec de l’alcool à brûler avant de regagner son domicile.

 ?? MARIA TAN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Un travailleu­r en blouse nettoie un four d’incinérati­on sous les yeux de ses collègues. Aux Philippine­s, où les corps des défunts sont traditionn­ellement embaumés avant d’être exposés plusieurs jours, puis inhumés, les autorités encouragen­t désormais une crémation expéditive.
MARIA TAN AGENCE FRANCE-PRESSE Un travailleu­r en blouse nettoie un four d’incinérati­on sous les yeux de ses collègues. Aux Philippine­s, où les corps des défunts sont traditionn­ellement embaumés avant d’être exposés plusieurs jours, puis inhumés, les autorités encouragen­t désormais une crémation expéditive.

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