Le Devoir

Dans ta face, les visages du court métrage

Danny Lennon donne carte blanche à des dizaines d’artisans du cinéma pour faire vibrer des films en ligne

- NATALIA WYSOCKA

« Parce qu’on sauve des vies. » C’est la devise que Danny Lennon a collée, un peu à la blague, à Prends ça court. Fondée en 2000, son initiative destinée à la promotion, à la distributi­on, à la diffusion et à la production de courts métrages, a traversé les années — et gardé son slogan. À la lumière des récents événements, comment le programmat­eur interprète-t-il sa boutade d’alors ? « Eh boy. On n’avait pas pensé à ça, hein. Je ne fais pas un service essentiel. Oh non. Mais tant mieux si ça peut divertir un peu. »

C’est dans ce but de toujours, divertir et célébrer le cinéma, que Danny Lennon a récemment lancé, en ligne, Dans ta face, une série de cartes blanches données à des artisans du septième art. Les consignes que Danny a communiqué­es à ses invités sont plutôt concises. « Y en a pas. Je niaise pas avec la puck, moi. »

La formule, elle, est simple aussi. Chaque soir, à 19 h 15 sur la page Facebook de Prends ça court, le programme de films choisis par l’invité du jour défile. Mais attention : « Ce n’est pas disponible pendant 24 heures, ce n’est pas un Facebook Live. Il faut, physiqueme­nt, que le spectateur s’assoie sur son cul à la bonne heure et pèse sur play.»

Ceux qui suivront ces succinctes instructio­ns verront défiler dans les jours à venir des oeuvres choisies par Jean-Marc Vallée (le 7 mai), par Denis Villeneuve (le 15 mai), par Léane Labrèche-Dor (le 20 mai)… et la liste continue. Le 14 mai, c’est Rafaël Ouellet qui proposera sa sélection de coups de coeur du court. « Des films moins vus, ou un peu oubliés. Des films qui ont été importants pour moi », précise-t-il. Parmi eux, Nostradamo­s, de Maxence Bradley, Alexandre Lampron et Elisabeth Olga Tremblay, qui avait été présenté en salle, en 2012, en doublé avec son célébré Camion. Puis Tennessee, réalisé par Denis Côté, pour lequel Rafaël Ouellet avait signé la direction photo. Et qui marque les débuts de leur collaborat­ion.

Question collaborat­ion, Danny Lennon, lui, a toujours fait cavalier seul dans sa mission. Même s’il évoque, sourire en coin, le fait qu’il reçoit l’aide d’un mystérieux collaborat­eur nommé Lazy-P (comme dans « paresseux » et dans « pffft, n’importe quoi »), il mène sa barque en solitaire. « Dans ta face, c’est moi. Et non, je n’ai pas reçu de subvention­s. »

Réfugié depuis un mois dans le bois, Danny L. trouve dans ce projet « un exutoire ». Comme il en trouve ces derniers temps dans (surprise) des téléréalit­és un tantinet trash du type Too Hot to Handle. Justificat­ion : « Pour pouvoir chialer et critiquer, il faut tout voir. » Et le patron de Prends ça court voit réellement de tout depuis qu’il concocte ses soirées. « Le plus important pour moi, c’est de faire des rencontres. Et de voir des osties de bons films. Maintenant, il n’y a plus de rencontres. Mais je vous garantis qu’il y a des osties de bons films. »

Le cinéma qui réunit

Au départ, ces soirées de cartes blanches devaient durer quelques semaines. Puis, des tas de volontaire­s ont demandé s’ils pouvaient participer. Le réalisateu­r de Tangerine, Sean Baker, notamment. Dans ta face sera donc dans nos faces jusqu’au mois d’août. Au moins.

Le confinemen­t aurait-il créé un intérêt nouveau pour le court auprès d’un public qui n’y était pas toujours réceptif ? Danny Lennon le croit. « Avant le virus, la grosse question qui revenait tout le temps c’était : où est-ce qu’on peut voir des courts métrages ? » À cela, il répondait invariable­ment, un brin irrité : « Ben… PARTOUT. » « C’est plate à dire, ajoute-t-il, mais un truc positif en ce moment, c’est que tout le monde cherche du contenu. Il y a longtemps que les télés ont arrêté d’acheter du court métrage, peut-être qu’elles vont recommence­r ? Peut-être qu’on va arrêter de prendre ces films pour des bouche-trous et se rendre compte qu’il y a de la qualité là-dedans. »

Néanmoins, malgré tout le positif, la déferlante de contenu offert soulève aussi des inquiétude­s. Une fois le confinemen­t fini, les spectateur­s seront-ils aussi enclins à payer pour voir des films ? « Il y a une abondance d’oeuvres de toutes sortes offertes gratuiteme­nt présenteme­nt, souligne Rafaël Ouellet. C’est beau, mais c’est aussi dangereux pour la suite. »

Car le court reste principale­ment sur Internet. Et dans les festivals. Comme ces derniers sont tous reportés ou annulés, une maison comme Dans ta face demeure un refuge de choix. « Il faut conserver ce tissu social qui tient par la culture, remarque Rafaël Ouellet. Avec de telles initiative­s, un genre de communion s’opère. On se garde vivants — et on garde le cinéma vivant. Il a, et il aura, besoin d’amour, le cinéma. Celui qu’on partage, qui réunit. Dans ta face en est une grosse dose. »

Dans ta face

Presque tous les soirs à 19 h 15, sur la page Facebook de Prends ça court. Jusqu’au 31 août.

Le confinemen­t aurait-il créé un intérêt nouveau pour le court auprès d’un public qui n’y était pas toujours réceptif ?

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