Le Devoir

Les médias en crise : qu’attend le Canada ?

D’autres pays commencent à tenir tête au duo cupide que forment Facebook et Google

- Jerry Dias Président national d’Unifor

Les organisati­ons médiatique­s canadienne­s sont en danger de mort, et il est temps que le gouverneme­nt fédéral s’attaque aux deux géants technologi­ques en maraude qui sont largement responsabl­es de la situation.

Facebook et Google ont pillé le marché canadien de la publicité numérique au cours de la dernière décennie. À eux deux, ils ont accaparé la grande majorité des revenus du marché canadien de la publicité en ligne, qui représente plus de 6 milliards de dollars, et qui a été la principale source de revenus des organisati­ons médiatique­s canadienne­s.

Pour ce faire, ils utilisent des contenus créés par ces organisati­ons, et ils ne paient absolument rien pour cela. Leurs actions ont été l’une des principale­s causes du carnage dans le paysage médiatique canadien.

Quel genre de carnage ? Au cours de la dernière décennie, plus de 250 journaux canadiens ont fermé leurs portes, privant les Canadiens d’informatio­n vitale sur ce qui se passe dans leurs communauté­s.

La pandémie de la COVID-19 a encore aggravé la situation, forçant des journaux qui luttaient déjà pour survivre à fermer leurs portes. Plus de 50 publicatio­ns ont disparu et 2000 emplois se sont envolés, selon J-Source. Plus de 100 organisati­ons médiatique­s ont été contrainte­s de procéder à des compressio­ns, y compris celles que l’on a vues récemment au Toronto Star.

La semaine dernière, Postmedia a laissé des communauté­s partout au pays sans source de nouvelles locales, fermant la plupart de ses journaux régionaux au Manitoba et éviscérant le paysage médiatique dans les communauté­s autour de Windsor en fermant 15 journaux et en licenciant 80 travailleu­rs.

Rien de tout cela n’est unique au Canada. En fait, Facebook et Google sont des délinquant­s en série. Les organisati­ons médiatique­s du monde entier sont en crise face à ce même duopole cupide.

La différence est que d’autres pays commencent à leur tenir tête.

L’office français de la concurrenc­e a annoncé à Google, il y a trois semaines, qu’il devait commencer à payer les médias pour la diffusion de leur contenu, et lui a donné trois mois pour mettre au point un accord de partage des revenus avec les éditeurs français.

L’Australie a fait de même en avisant Facebook et Alphabet inc., la société mère de Google, qu’ils doivent partager les revenus publicitai­res avec les organisati­ons médiatique­s locales. Cette décision, prise le 19 avril, fait suite à une enquête menée par l’organisme australien de surveillan­ce de la concurrenc­e, qui a prouvé que les géants de la technologi­e ont contribué à empêcher les éditeurs australien­s d’être payés pour le contenu qu’ils créent.

L’Irlande va sans doute bientôt prendre ses propres mesures après que Leo Varadkar, le premier ministre sortant, a, la semaine dernière, qualifié Facebook et Google de « profiteurs des coûts assumés par d’autres personnes » et déclaré que le prochain gouverneme­nt irlandais cherchait des moyens de les obliger à partager les revenus publicitai­res avec les médias locaux.

D’autres agissent. Qu’attend le Canada ?

Il y a cinq ans, Unifor a lancé sa campagne #savelocaln­ews. Dans le cadre de cette initiative, nous avons demandé au gouverneme­nt fédéral d’uniformise­r les règles du jeu en exigeant que Google et Facebook contribuen­t au financemen­t de l’informatio­n.

La situation est encore pire aujourd’hui. La pandémie qui a paralysé l’économie canadienne pèse lourdement sur nos organisati­ons médiatique­s.

Les entreprise­s sont fermées. Les événements sportifs et de divertisse­ment sont annulés. Cela signifie qu’ils ne font plus de publicité, ce qui porte un autre coup à la source de revenus de ces organisati­ons médiatique­s. Les publicatio­ns imprimées des autres entreprise­s de médias ont été suspendues. Certaines d’entre elles ne reviendron­t probableme­nt pas.

Les Canadiens sont à la recherche de données précises et fiables sur la pandémie de la COVID-19 ; ils consomment plus de nouvelles locales que jamais.

La France et l’Australie ont montré qu’il était possible d’affronter Facebook et Google, et de créer un avenir durable pour les médias locaux.

C’est maintenant notre tour. Notre gouverneme­nt fédéral, comme ceux de la France et de l’Australie, devrait agir pour donner aux médias de notre pays une chance de survivre.

La France et l’Australie ont montré qu’il était possible de créer un avenir durable pour les médias locaux. C’est maintenant notre tour.

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